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Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S6 Episode 5
25/12/2024 – Noël
Lecture de l’évangile : Valentine
Textes du jour
Mt 1, 1-25
(et le reste sur aelf.org)
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Le texte de l’homélie
Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. Au premier abord, ça claque comme carte de visite. Jésus, celui qui est choisi par Dieu comme les rois de l’Ancien Testament, celui que tant de générations ont attendu, est un parent du grand roi David et d’Abraham, le père du peuple de Dieu. Serait-ce le début d’une de ces nombreuses légendes où l’on découvre que le fils du charpentier est en fait le prince héritier, qu’il va reconquérir sa place de roi, et qu’après il régnera d’une main juste et ferme. Combien de disciples et de contemporains de Jésus – et combien parmi nous – avons espéré que l’histoire finirait ainsi par ce grand retour du roi légitime, mettant à bas les puissances obscures comme Aragorn à la fin du Seigneur des Anneaux ?
Pourtant, une fois ce début de généalogie un peu désencombré de sa brillance, on se rend compte qu’il n’y a pas grand chose d’inattendu. Jésus descend d’Abraham comme tout le peuple de Dieu. Ce n’est pas vraiment un titre d’exception, pas plus que fils du roi David qui a des milliers de descendants à son affect à la place d’un scoop, d’un pedigree hors normes. Ce début d’évangile nous donne presque simplement à voir que Jésus fait partie du peuple de l’alliance avec Dieu et plus précisément de la branche davidique. Moi aussi il y a des chances que j’ai un lien de parenté lointain avec Charlemagne. Pas de quoi en faire une affaire. Mais ça ne s’arrête pas là : ensuite vient la liste généalogique à proprement parler. C’est trois fois quatorze générations qui sont nommées. Une cascade de noms qui semblent ne jamais se tarir, tellement de noms que très vite, j’attends qu’on passe à LA vraie histoire. Après tout, quelle importance que tous ces noms ? D’autant que la généalogie de Jésus, après ce début en grande pompe, finit en cul de sac. Le maillon qui devrait relier Jésus à toute cette liste de 42 générations. Le nom de Joseph qui, comme tous les autres noms de la liste, devait être suivi de engendra Jésus et suivi par cette formule inattendue « l’époux de Marie ». Et cette autre formule alambiquée « de laquelle Jésus fut engendré », comme si c’était trop de faire de Marie le sujet du verbe engendrer. Alors quoi ? Toute cette liste pour ça ? Toute cette liste pour découvrir que Jésus n’a pas techniquement de lien de sang avec les 42 générations qui viennent d’être péniblement énumérées, parce que ce n’est pas Joseph qui engendre en première personne. Disons le tout net : ce rapport à la parentalité biologique qui obsède tant certains de nos contemporains quand il s’agit de disqualifier les familles hors de la norme hétérosexuelle, n’a littéralement aucune importance pour les auditeurs de l’Évangile à qui s’adresse Matthieu. Ce qui compte pour la généalogie de Jésus, soit que Joseph, bien que non géniteur, soit père. C’est à dire celui qui prend sa mère pour épouse et le nomme Jésus, celui qui le reconnaît et l’élève.
Ces deux actes font de Jésus, légitimement et incontestablement l’enfant de Joseph, donc une personne de sa lignée. Un deuxième point de tension émerge pourtant immédiatement. Admettons que Joseph est bien le père légitime de cet enfant. Mais est ce que cette généalogie n’est pas de toutes les façons trop belle pour être vraie ? et par « vraie » on veut en fait dire réel, prouvable scientifiquement. Au contraire d’une fiction, à mon avis, tant qu’on pose la question uniquement en terme de vrai ou de faux, on passe à côté de l’essentiel. Les généalogies, quel qu’en soit le fil directeur, sont toujours et avant tout des histoires, des fictions qui servent à dire notre place dans le monde. Cela dépend parfois des liens de sang, mais parfois pas. Et ce n’est pourtant pas moins vrai. Une généalogie, c’est une façon orientée de lire le passé pour se dire au présent, mais surtout pour avoir une boussole qui tend vers l’avenir. Il n’y a pas de généalogie neutre, pas de généalogie exhaustive. Faire sa généalogie ou faire celle de quelqu’un d’autre, c’est toujours faire des choix, suivre certaines branches et en abandonner d’autres. Tomber sur des secrets de famille. Découvrir que bien qu’on aimerait tracer une ligne droite du pied de l’arbre à sa cime, on est contraint à zigzaguer, et on n’arrive jamais au sommet.
La généalogie de Jésus relève de choix et ses choix laissent paraître la rugosité de l’écorce. Dans cette généalogie, l’événement traumatique de l’exil s’inscrit comme un parent incontournable. Dans cette généalogie, les noms ouvrent vers tout un univers d’histoires. On entend le nom d’Abraham et nous voilà projetés sous un ciel étoilé, en dialogue avec Yahvé. On entend le nom de Ruth et nous voilà à côté de Noémie, à glaner dans les champs du cousin Booz. On entend le nom de David et l’on se retrouve embarqué dans le cycle des rois. On a en quelques mots une forme de sommaire des livres de la Bible hébraïque. C’est toute une mémoire, toute la complexité d’un héritage qui fait jour. Nous avons besoin de ces mémoires, de ces histoires, de ces généalogies pour nous dire. La généalogie de Jésus rend tangible qu’aucun être humain n’est une particule flottante, solitaire dans l’univers, pas même Jésus. Nous sommes toujours liés à d’autres, toujours inscrits dans des récits, des attentes qui nous façonnent mais que nous pouvons toujours aussi refaçonner. Ces liens sont à la fois donner et à recevoir. Donner une importance à certains liens, les entretenir, les revendiquer ou au contraire les minimiser dépend de choix individuels et de société. Je me suis, comme tout le monde, forgé sans toujours y réfléchir, des généalogies.
J’ai inscrit mon existence dans une longue lignée d’existences. Il y a par exemple cette chanson que je chante depuis des années avec d’autres. « Nous sommes filles de lesbiennes, de femmes célibataires, filles de mères courageuses. » Bien sûr, cela en dit moins long sur mes ancêtres biologiques que sur une facette de qui je suis et qui je revendique être. Cette généalogie n’est pas fausse, bien que fictive. Elle est la reconnaissance que mon identité n’est pas sortie du néant, mais un héritage. Si je peux être aujourd’hui qui je suis, si je peux, sans peur me dire par exemple queer, bisexuelle et non-binaire, c’est parce que d’autres sont venues avant moi qui ont rendu cette existence au grand jour possible, qui m’ont servi d’exemple et m’ont permis de trouver les mots pour me dire. La généalogie de Jésus c’est donc à la fin ce signe que Dieu s’inscrit dans le destin des humains, au cœur de ce destin qui est bien loin d’être uniquement un destin de mâle et d’aîné. C’est un destin tortueux, parfois brillant et parfois douloureux. C’est un destin tissé de mains en partie invisibles, mais qui ici affleure. C’est un destin tissé de mains de femmes, de mains d’étrangères, de mains de lesbiennes, de mains de prostituées, de mains de servantes, de mains d’étrangères de mains de survivantes de viols, de mains de filles mères et de mains d’hommes bons. ↓
Pourtant, une fois ce début de généalogie un peu désencombré de sa brillance, on se rend compte qu’il n’y a pas grand chose d’inattendu. Jésus descend d’Abraham comme tout le peuple de Dieu. Ce n’est pas vraiment un titre d’exception, pas plus que fils du roi David qui a des milliers de descendants à son affect à la place d’un scoop, d’un pedigree hors normes. Ce début d’évangile nous donne presque simplement à voir que Jésus fait partie du peuple de l’alliance avec Dieu et plus précisément de la branche davidique. Moi aussi il y a des chances que j’ai un lien de parenté lointain avec Charlemagne. Pas de quoi en faire une affaire. Mais ça ne s’arrête pas là : ensuite vient la liste généalogique à proprement parler. C’est trois fois quatorze générations qui sont nommées. Une cascade de noms qui semblent ne jamais se tarir, tellement de noms que très vite, j’attends qu’on passe à LA vraie histoire. Après tout, quelle importance que tous ces noms ? D’autant que la généalogie de Jésus, après ce début en grande pompe, finit en cul de sac. Le maillon qui devrait relier Jésus à toute cette liste de 42 générations. Le nom de Joseph qui, comme tous les autres noms de la liste, devait être suivi de engendra Jésus et suivi par cette formule inattendue « l’époux de Marie ». Et cette autre formule alambiquée « de laquelle Jésus fut engendré », comme si c’était trop de faire de Marie le sujet du verbe engendrer. Alors quoi ? Toute cette liste pour ça ? Toute cette liste pour découvrir que Jésus n’a pas techniquement de lien de sang avec les 42 générations qui viennent d’être péniblement énumérées, parce que ce n’est pas Joseph qui engendre en première personne. Disons le tout net : ce rapport à la parentalité biologique qui obsède tant certains de nos contemporains quand il s’agit de disqualifier les familles hors de la norme hétérosexuelle, n’a littéralement aucune importance pour les auditeurs de l’Évangile à qui s’adresse Matthieu. Ce qui compte pour la généalogie de Jésus, soit que Joseph, bien que non géniteur, soit père. C’est à dire celui qui prend sa mère pour épouse et le nomme Jésus, celui qui le reconnaît et l’élève.
Ces deux actes font de Jésus, légitimement et incontestablement l’enfant de Joseph, donc une personne de sa lignée. Un deuxième point de tension émerge pourtant immédiatement. Admettons que Joseph est bien le père légitime de cet enfant. Mais est ce que cette généalogie n’est pas de toutes les façons trop belle pour être vraie ? et par « vraie » on veut en fait dire réel, prouvable scientifiquement. Au contraire d’une fiction, à mon avis, tant qu’on pose la question uniquement en terme de vrai ou de faux, on passe à côté de l’essentiel. Les généalogies, quel qu’en soit le fil directeur, sont toujours et avant tout des histoires, des fictions qui servent à dire notre place dans le monde. Cela dépend parfois des liens de sang, mais parfois pas. Et ce n’est pourtant pas moins vrai. Une généalogie, c’est une façon orientée de lire le passé pour se dire au présent, mais surtout pour avoir une boussole qui tend vers l’avenir. Il n’y a pas de généalogie neutre, pas de généalogie exhaustive. Faire sa généalogie ou faire celle de quelqu’un d’autre, c’est toujours faire des choix, suivre certaines branches et en abandonner d’autres. Tomber sur des secrets de famille. Découvrir que bien qu’on aimerait tracer une ligne droite du pied de l’arbre à sa cime, on est contraint à zigzaguer, et on n’arrive jamais au sommet.
La généalogie de Jésus relève de choix et ses choix laissent paraître la rugosité de l’écorce. Dans cette généalogie, l’événement traumatique de l’exil s’inscrit comme un parent incontournable. Dans cette généalogie, les noms ouvrent vers tout un univers d’histoires. On entend le nom d’Abraham et nous voilà projetés sous un ciel étoilé, en dialogue avec Yahvé. On entend le nom de Ruth et nous voilà à côté de Noémie, à glaner dans les champs du cousin Booz. On entend le nom de David et l’on se retrouve embarqué dans le cycle des rois. On a en quelques mots une forme de sommaire des livres de la Bible hébraïque. C’est toute une mémoire, toute la complexité d’un héritage qui fait jour. Nous avons besoin de ces mémoires, de ces histoires, de ces généalogies pour nous dire. La généalogie de Jésus rend tangible qu’aucun être humain n’est une particule flottante, solitaire dans l’univers, pas même Jésus. Nous sommes toujours liés à d’autres, toujours inscrits dans des récits, des attentes qui nous façonnent mais que nous pouvons toujours aussi refaçonner. Ces liens sont à la fois donner et à recevoir. Donner une importance à certains liens, les entretenir, les revendiquer ou au contraire les minimiser dépend de choix individuels et de société. Je me suis, comme tout le monde, forgé sans toujours y réfléchir, des généalogies.
J’ai inscrit mon existence dans une longue lignée d’existences. Il y a par exemple cette chanson que je chante depuis des années avec d’autres. « Nous sommes filles de lesbiennes, de femmes célibataires, filles de mères courageuses. » Bien sûr, cela en dit moins long sur mes ancêtres biologiques que sur une facette de qui je suis et qui je revendique être. Cette généalogie n’est pas fausse, bien que fictive. Elle est la reconnaissance que mon identité n’est pas sortie du néant, mais un héritage. Si je peux être aujourd’hui qui je suis, si je peux, sans peur me dire par exemple queer, bisexuelle et non-binaire, c’est parce que d’autres sont venues avant moi qui ont rendu cette existence au grand jour possible, qui m’ont servi d’exemple et m’ont permis de trouver les mots pour me dire. La généalogie de Jésus c’est donc à la fin ce signe que Dieu s’inscrit dans le destin des humains, au cœur de ce destin qui est bien loin d’être uniquement un destin de mâle et d’aîné. C’est un destin tortueux, parfois brillant et parfois douloureux. C’est un destin tissé de mains en partie invisibles, mais qui ici affleure. C’est un destin tissé de mains de femmes, de mains d’étrangères, de mains de lesbiennes, de mains de prostituées, de mains de servantes, de mains d’étrangères de mains de survivantes de viols, de mains de filles mères et de mains d’hommes bons. ↓
Léo Élijah

J’aime mettre des couleurs partout, les petites fourchettes et les toiles d’araignées. J’aime l’odeur du bitume après la pluie l’été et l’amertume de la peau de citron. J’aime le sel de la mer, l’intimité des larmes et les lettres majuscules collées sur les murs. Et j’ai au plus profond du cœur des centaines de milliers de voix qui chantent par-delà les siècles la colère et l’espoir.