#
Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S6 Episode 4
22/12/2024 – 4e dimanche de l’avent
Lecture de l’évangile : Marina
Textes du jour
Mi 5, 1-4a
Ps 79
He 10, 5-10
Lc 1, 39-45
(Lire les textes sur aelf.org)
Le texte de l’homélie
Marie a toujours été pour moi une figure biblique assez lointaine. Je ne m’y suis jamais vraiment intéressée ni attachée, un peu lasse de cette virginité qu’on nous ressasse en permanence, comme si c’était la seule manière d’être sainte et respectable. J’ai assisté il y a quelques années à une discussion entre un jeune prêtre et un animateur d’aumônerie, deux gars d’à peine 30 ans, qui déblatéraient sur le fait que c’était vraiment d’une importance CAPITALE de bien comprendre que Marie était vierge avant, pendant et APRÈS la naissance de Jésus. Cet attachement qu’ont les hommes à cette virginité m’a toujours mis Marie à l’écart. Comme le fait qu’on ait fait d’elle l’emblème de la douceur, la figure stéréotypée de ce que doit être une mère, aimante et consolante, servant malgré elle de justification à nos rôles genrés au sein de l’Eglise. Abstraite, presque caricaturale, aussi sage et immobile que les images la représentant ; je l’ai longtemps mise de côté. Jusqu’à cette messe de Noël 2018, ma fille ainée a 9 mois. Les enfants de la paroisse racontent l’histoire de la crèche. Je regarde celle installée près de l’autel. Je vois Marie. Elle est assise, Jésus dort paisiblement hors de ses bras. Moi qui viens de vivre une césarienne, qui vient de vivre 9 mois avec un bébé souffrant de reflux qui ne dort que dans mes bras, porté en permanence, moi qui connais maintenant les douleurs de l’allaitement, l’inconfort des saignements post partum, la détresse de ce corps qu’on ne reconnaît plus, moi qui sais maintenant ce qui peut se cacher derrière cette phrase pourtant expéditive de l’évangile de Luc : « le temps où Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier né. », moi qui viens de vivre un accouchement, je me demande pourquoi celui de Marie n’est pas vraiment raconté. J’ai partagé beaucoup de récits d’accouchements avec des amies, proches ou moins proches. Et jamais, jamais je n’ai entendu un accouchement résumé en aussi peu de mots : “elle enfanta son fils”.
En ce soir de Noël 2018, grâce à ma fille, je me suis sentie proche de Marie comme jamais je ne l’avais été. Tout à coup je me suis projetée dans ce récit sans son côté édulcoré qu’on nous ressasse depuis notre enfance. Marie, dans la nuit noire, n’ayant jamais accouché de sa vie, les contractions qui se rapprochent… Personne ne veut l’accueillir, elle ne sait pas où elle va accoucher. Vais-je accoucher dans le froid ? Vais-je avoir mal ? Vais-je survivre ? Avait-elle toujours pleinement confiance à ce moment-là, quelques minutes avant la poussée ? A-t-elle eu peur ? A-t-elle douté ? Et après la naissance, qui s’est occupé d’éponger ses saignements ? L’évangile de Luc raconte cette naissance avec si peu de mots, alors qu’un accouchement humain c’est tellement de choses. L’expérience de la grossesse et de l’accouchement comme tant d’autres expériences de nos vies humaines sont profondément ancrées dans notre chair, dans notre mortalité, dans notre condition animale. Ce sont milles émotions, milles sensations. De la puissance, du découragement, de la fatigue, de la joie, de l’amour, de la douleur aussi. Et c’est une expérience bouleversante que de poser les yeux sur un nouveau-né, de découvrir le visage de celle ou celui avec qui on a vécu pendant 9 mois. De se dire « ah? C’est toi ? Tu es mon enfant. Je t’aime ».
En cette messe de Noël 2018, avec ma fille de 9 mois dans les bras, je me suis dit : c’est donc ça de croire en l’incarnation de Jésus ? C’est comprendre à quel point la venue de Jésus sur Terre était une expérience profondément humaine ! Et à quel point Marie a profondément été sa mère, dans sa chair, dans son corps. C’est réaliser à quel point elle avait vécu un accouchement humain, sûrement complexe, hasardeux, plein de fatigue, d’amour et d’appréhension. Cette pensée semblait si absurde face aux santons si droits, si statiques de la crèche, avec une Marie à genou en plein post partum, le visage lisse et calme. Si l’incarnation de Jésus est réelle, Marie ne devrait-elle pas plutôt être allongée, épuisée, avec un bébé accroché à son sein ? Pourquoi est-ce si difficile pour nous d’imaginer Jésus pleinement humain. Marie pleinement humaine.
Les évangiles sont pourtant truffés d’histoires profondément humaines. Ce dimanche, Luc nous parle de deux femmes enceintes qui se retrouvent. Alors que Marie vient d’apprendre qu’elle porte Jésus, la première chose qu’elle fait c’est de courir voir sa cousine Elisabeth, dans un élan de sororité émouvant. Son premier réflexe à l’annonce de l’ange Gabriel c’est d’aller rendre visite à une autre humaine. « Elle s’empresse » : il semble y avoir une urgence à annoncer cette bonne nouvelle à sa cousine, à partager cette joie. On est alors témoin d’un effet domino surprenant. Marie salue sa cousine et en entendant la voix de Marie, le bébé d’Elisabeth tressaille et ensuite Elisabeth est remplie de l’Esprit Saint. C’est donc la parole de Marie qui engendre la venue de l’Esprit Saint en Elisabeth par l’intermédiaire de son bébé, et non la seule présence de Jésus dans la pièce.
Cela nous rappelle que la présence de Dieu.e n’est pas directement accessible. C’est son bébé, en tressaillant d’allégresse, qui indique à Elisabeth que Marie est la mère du Seigneur. Mais, comment sait-elle que le bébé qui bouge dans son ventre « tressaille d’allégresse » ? La relation entre une mère et son enfant à naître est faite de coup de pieds, de hoquets, de bosses, d’agitation, et de conversations muettes. Tout est soumis à interprétation. Était-ce un étirement, un bâillement, de la joie, de la tristesse ? La peau qui nous sépare nous oblige à imaginer, à deviner, à converser dans un autre langage. On ne peut qu’interpréter. La présence de Dieu.e n’est donc pas directement accessible mais c’est dans nos histoires humaines qu’on la rencontre. Dieu.e se donne à rencontrer dans nos corps concrets, dans la parole de Marie, dans le creux du ventre d’Elisabeth, dans le sursaut de son bébé. Dieu se révèle par l’humain. Et de manière la plus radicale qu’il soit car il s’est fait lui-même humain. Dieu.e s’est incarné. L’incarnation de Jésus est une nouvelle merveilleuse qu’Elisabeth reçoit dans sa propre chair : son bébé Jean-Baptiste tressaille de joie car Jésus est dans le ventre de sa cousine ! Il est là parmi nous, il nous rejoint dans l’intimité !
Quand je regarde mon bébé de 5 mois me sourire et agiter les pieds de joie en me voyant, je me répète « Jésus a été un bébé, un vrai bébé, comme ça ». Et cela me semble totalement inconcevable. Je ne peux pas saisir cette réalité tellement elle est incroyable. Jésus a commencé sa vie parmi nous petit bébé, ayant besoin de ses parents pour manger, être langé, être déplacé des bras au lit. Est-ce que Jésus était un bébé « magique » qui ne faisait pas de crevasse aux seins ? Qui dormait paisiblement et souriait en permanence ? Jésus est le fils de Dieu, il devait bien être un bébé extraordinaire ? Pourtant… on nous dit aussi qu’il nous a rejoint dans notre humanité. Marion Muller Colard écrit : « Aucun de nous n’aura fait l’expérience de naître à moitié. » Si Jésus s’est fait homme parmi les humains, il n’est pas né à moitié. Il nous a rejoint dans notre « intranquillité » de bébé, en quête de soin permanents, que seuls les autres peuvent nous prodiguer. Va-t-on me nourrir alors que mon ventre est douloureux de faim ? A qui sont ces nouveaux bras dans lesquels on m’a mis ? Tout n’est que sensations, intranquillité et dépendance. Jésus s’en est donc totalement remis à nous pour le soigner et l’aimer.
Je repense à une de mes nuits de la semaine dernière, une parmi tant d’autres dans ma vie de maman. Il est 2h du matin. Ma main est posée sur le ventre de ma fille de 5 mois. Dès que je retire ma main, mon bébé s’agite, elle pleure. Dès que je la repose, elle s’apaise. Elle a besoin de ma main pour se rendormir, pour se rassurer. Elle a besoin de ma présence, de me sentir là près d’elle pour s’abandonner au sommeil. Je suis tentée d’être agacée, de me laisser aller à l’irritation. Je me sens épuisée. J’ai envie de retrouver mon lit. Et puis je suis dans l’incertitude de combien de temps cela va durer. 2 minutes ? 10 minutes ? 1h ? A 2h du matin, ça a son importance. S’occuper d’un bébé c’est une somme folle de gestes et de répétitions, de présence et de nuits écourtées.
Je regarde mon bébé, si agitée sans la chaleur de ma main sur elle, et si sereine quand elle me sait avec certitude à ses côtés. Et mon regard se remplit de patience et mon cœur chasse l’agacement naissant. Je sais que dans peu de temps, ces moments seront partis, elle aura grandi, j’aurai vieilli, le temps aura passé. Et je mesure la chance inouïe et incroyable d’être là, au creux de la nuit, à sentir son petit ventre se soulever dans une confiance absolue, enveloppé de mon amour absolu. Je me sens remplie d’une patience nouvelle et dans la pénombre de sa chambre je sens un flux continu d’amour donné et reçu dans tous les sens. Mon amour pour mon bébé est si grand, si immense, si puissant. C’est l’amour que Marie a eu pour Jésus. Alors moi aussi, je suis appelé à aimer Jésus à ce point-là ? A prendre soin de lui à ce point-là ? Il me semble n’y avoir rien de plus grand. Ça doit donc être ça l’amour que je suis censée avoir pour Jésus.
Et dimanche dernier, un prêtre a dit à mon bébé « Tu sais, Jésus il t’aime plus que ta maman ! » Ma première réaction a été de penser « Personne ne peut aimer mon bébé plus que moi et son père. C’est impossible. N’importe quoi !» Et en même temps, je pense à mon manque d’énergie, d’écoute, de patience parfois avec mes enfants. Je sens que mon amour parental est bien perfectible. C’est la loi de l’amour humain. Jésus nous aime plus que tout ça, et cela semble faire un vase communicant d’amour qui traverse les siècles et les générations, qui va des humains à Jésus bébé puis de Jésus aujourd’hui à l’humanité entière.
Il est 2h du matin et des poussières. Je retire ma main du ventre de mon bébé et elle dort paisiblement. Son réservoir d’amour est plein, sa jauge de confiance est au maximum. Même en mon absence, elle sait que je l’aime et que je suis là pour elle. Je peux me retirer de sa chambre, son sommeil est profond et serein. Elle est dans la confiance d’être aimée !
Et moi ? Ai-je cette confiance en l’amour de Dieu. Est-ce que j’ose fermer les yeux la nuit en sachant qu’il est là pour moi ? En ce moment, et depuis pas mal de temps, je me sens si souvent loin de Dieu. Je peine à ne pas perdre Dieu.e de vue, de plus en plus aveuglée par ma méfiance envers l’Eglise et les hommes. Et pourtant, mon cœur cherche Dieu.e. Toujours. Envers et contre tout. Et en cet avent 2024, je me sens en attente. En attente de sentir sa présence en moi. Mais pour la sentir, il faut apprendre à l’entendre, comme Elisabeth a su entendre Marie « tes paroles sont parvenues à mes oreilles ». Entendre les signes qui nous transforment de l’intérieur. Gardons notre porte ouverte à Jésus telle Elisabeth accueillant Marie. Mettons-nous en mouvement telle Marie s’empressant d’annoncer la bonne nouvelle. L’incarnation de Jésus nous rappelle l’importance de prendre soin de Lui. Prendre soin de la présence de Dieu.e en nous et dans le monde. Il a besoin de gestes, il a besoin d’être rassuré. Jésus, en devenant enfant de l’humanité, s’est confié à nous pour qu’on l’aime et le soigne.
Et si aujourd’hui, je peine à entendre les signes de sa présence, quand je vois mon bébé s’abandonner à la confiance de mon amour par la chaleur de ma main posée sur elle, je perçois les prémices de la joie de Noël : Jésus s’est abandonné à l’amour des humains, petit bébé humble et dépendant. Je dois prendre soin de lui autant que je dois le laisser me soigner, sa main sur mon ventre, rassurante et consolatrice pour retrouver la confiance et sentir sa présence même dans son absence. ↓
En ce soir de Noël 2018, grâce à ma fille, je me suis sentie proche de Marie comme jamais je ne l’avais été. Tout à coup je me suis projetée dans ce récit sans son côté édulcoré qu’on nous ressasse depuis notre enfance. Marie, dans la nuit noire, n’ayant jamais accouché de sa vie, les contractions qui se rapprochent… Personne ne veut l’accueillir, elle ne sait pas où elle va accoucher. Vais-je accoucher dans le froid ? Vais-je avoir mal ? Vais-je survivre ? Avait-elle toujours pleinement confiance à ce moment-là, quelques minutes avant la poussée ? A-t-elle eu peur ? A-t-elle douté ? Et après la naissance, qui s’est occupé d’éponger ses saignements ? L’évangile de Luc raconte cette naissance avec si peu de mots, alors qu’un accouchement humain c’est tellement de choses. L’expérience de la grossesse et de l’accouchement comme tant d’autres expériences de nos vies humaines sont profondément ancrées dans notre chair, dans notre mortalité, dans notre condition animale. Ce sont milles émotions, milles sensations. De la puissance, du découragement, de la fatigue, de la joie, de l’amour, de la douleur aussi. Et c’est une expérience bouleversante que de poser les yeux sur un nouveau-né, de découvrir le visage de celle ou celui avec qui on a vécu pendant 9 mois. De se dire « ah? C’est toi ? Tu es mon enfant. Je t’aime ».
En cette messe de Noël 2018, avec ma fille de 9 mois dans les bras, je me suis dit : c’est donc ça de croire en l’incarnation de Jésus ? C’est comprendre à quel point la venue de Jésus sur Terre était une expérience profondément humaine ! Et à quel point Marie a profondément été sa mère, dans sa chair, dans son corps. C’est réaliser à quel point elle avait vécu un accouchement humain, sûrement complexe, hasardeux, plein de fatigue, d’amour et d’appréhension. Cette pensée semblait si absurde face aux santons si droits, si statiques de la crèche, avec une Marie à genou en plein post partum, le visage lisse et calme. Si l’incarnation de Jésus est réelle, Marie ne devrait-elle pas plutôt être allongée, épuisée, avec un bébé accroché à son sein ? Pourquoi est-ce si difficile pour nous d’imaginer Jésus pleinement humain. Marie pleinement humaine.
Les évangiles sont pourtant truffés d’histoires profondément humaines. Ce dimanche, Luc nous parle de deux femmes enceintes qui se retrouvent. Alors que Marie vient d’apprendre qu’elle porte Jésus, la première chose qu’elle fait c’est de courir voir sa cousine Elisabeth, dans un élan de sororité émouvant. Son premier réflexe à l’annonce de l’ange Gabriel c’est d’aller rendre visite à une autre humaine. « Elle s’empresse » : il semble y avoir une urgence à annoncer cette bonne nouvelle à sa cousine, à partager cette joie. On est alors témoin d’un effet domino surprenant. Marie salue sa cousine et en entendant la voix de Marie, le bébé d’Elisabeth tressaille et ensuite Elisabeth est remplie de l’Esprit Saint. C’est donc la parole de Marie qui engendre la venue de l’Esprit Saint en Elisabeth par l’intermédiaire de son bébé, et non la seule présence de Jésus dans la pièce.
Cela nous rappelle que la présence de Dieu.e n’est pas directement accessible. C’est son bébé, en tressaillant d’allégresse, qui indique à Elisabeth que Marie est la mère du Seigneur. Mais, comment sait-elle que le bébé qui bouge dans son ventre « tressaille d’allégresse » ? La relation entre une mère et son enfant à naître est faite de coup de pieds, de hoquets, de bosses, d’agitation, et de conversations muettes. Tout est soumis à interprétation. Était-ce un étirement, un bâillement, de la joie, de la tristesse ? La peau qui nous sépare nous oblige à imaginer, à deviner, à converser dans un autre langage. On ne peut qu’interpréter. La présence de Dieu.e n’est donc pas directement accessible mais c’est dans nos histoires humaines qu’on la rencontre. Dieu.e se donne à rencontrer dans nos corps concrets, dans la parole de Marie, dans le creux du ventre d’Elisabeth, dans le sursaut de son bébé. Dieu se révèle par l’humain. Et de manière la plus radicale qu’il soit car il s’est fait lui-même humain. Dieu.e s’est incarné. L’incarnation de Jésus est une nouvelle merveilleuse qu’Elisabeth reçoit dans sa propre chair : son bébé Jean-Baptiste tressaille de joie car Jésus est dans le ventre de sa cousine ! Il est là parmi nous, il nous rejoint dans l’intimité !
Quand je regarde mon bébé de 5 mois me sourire et agiter les pieds de joie en me voyant, je me répète « Jésus a été un bébé, un vrai bébé, comme ça ». Et cela me semble totalement inconcevable. Je ne peux pas saisir cette réalité tellement elle est incroyable. Jésus a commencé sa vie parmi nous petit bébé, ayant besoin de ses parents pour manger, être langé, être déplacé des bras au lit. Est-ce que Jésus était un bébé « magique » qui ne faisait pas de crevasse aux seins ? Qui dormait paisiblement et souriait en permanence ? Jésus est le fils de Dieu, il devait bien être un bébé extraordinaire ? Pourtant… on nous dit aussi qu’il nous a rejoint dans notre humanité. Marion Muller Colard écrit : « Aucun de nous n’aura fait l’expérience de naître à moitié. » Si Jésus s’est fait homme parmi les humains, il n’est pas né à moitié. Il nous a rejoint dans notre « intranquillité » de bébé, en quête de soin permanents, que seuls les autres peuvent nous prodiguer. Va-t-on me nourrir alors que mon ventre est douloureux de faim ? A qui sont ces nouveaux bras dans lesquels on m’a mis ? Tout n’est que sensations, intranquillité et dépendance. Jésus s’en est donc totalement remis à nous pour le soigner et l’aimer.
Je repense à une de mes nuits de la semaine dernière, une parmi tant d’autres dans ma vie de maman. Il est 2h du matin. Ma main est posée sur le ventre de ma fille de 5 mois. Dès que je retire ma main, mon bébé s’agite, elle pleure. Dès que je la repose, elle s’apaise. Elle a besoin de ma main pour se rendormir, pour se rassurer. Elle a besoin de ma présence, de me sentir là près d’elle pour s’abandonner au sommeil. Je suis tentée d’être agacée, de me laisser aller à l’irritation. Je me sens épuisée. J’ai envie de retrouver mon lit. Et puis je suis dans l’incertitude de combien de temps cela va durer. 2 minutes ? 10 minutes ? 1h ? A 2h du matin, ça a son importance. S’occuper d’un bébé c’est une somme folle de gestes et de répétitions, de présence et de nuits écourtées.
Je regarde mon bébé, si agitée sans la chaleur de ma main sur elle, et si sereine quand elle me sait avec certitude à ses côtés. Et mon regard se remplit de patience et mon cœur chasse l’agacement naissant. Je sais que dans peu de temps, ces moments seront partis, elle aura grandi, j’aurai vieilli, le temps aura passé. Et je mesure la chance inouïe et incroyable d’être là, au creux de la nuit, à sentir son petit ventre se soulever dans une confiance absolue, enveloppé de mon amour absolu. Je me sens remplie d’une patience nouvelle et dans la pénombre de sa chambre je sens un flux continu d’amour donné et reçu dans tous les sens. Mon amour pour mon bébé est si grand, si immense, si puissant. C’est l’amour que Marie a eu pour Jésus. Alors moi aussi, je suis appelé à aimer Jésus à ce point-là ? A prendre soin de lui à ce point-là ? Il me semble n’y avoir rien de plus grand. Ça doit donc être ça l’amour que je suis censée avoir pour Jésus.
Et dimanche dernier, un prêtre a dit à mon bébé « Tu sais, Jésus il t’aime plus que ta maman ! » Ma première réaction a été de penser « Personne ne peut aimer mon bébé plus que moi et son père. C’est impossible. N’importe quoi !» Et en même temps, je pense à mon manque d’énergie, d’écoute, de patience parfois avec mes enfants. Je sens que mon amour parental est bien perfectible. C’est la loi de l’amour humain. Jésus nous aime plus que tout ça, et cela semble faire un vase communicant d’amour qui traverse les siècles et les générations, qui va des humains à Jésus bébé puis de Jésus aujourd’hui à l’humanité entière.
Il est 2h du matin et des poussières. Je retire ma main du ventre de mon bébé et elle dort paisiblement. Son réservoir d’amour est plein, sa jauge de confiance est au maximum. Même en mon absence, elle sait que je l’aime et que je suis là pour elle. Je peux me retirer de sa chambre, son sommeil est profond et serein. Elle est dans la confiance d’être aimée !
Et moi ? Ai-je cette confiance en l’amour de Dieu. Est-ce que j’ose fermer les yeux la nuit en sachant qu’il est là pour moi ? En ce moment, et depuis pas mal de temps, je me sens si souvent loin de Dieu. Je peine à ne pas perdre Dieu.e de vue, de plus en plus aveuglée par ma méfiance envers l’Eglise et les hommes. Et pourtant, mon cœur cherche Dieu.e. Toujours. Envers et contre tout. Et en cet avent 2024, je me sens en attente. En attente de sentir sa présence en moi. Mais pour la sentir, il faut apprendre à l’entendre, comme Elisabeth a su entendre Marie « tes paroles sont parvenues à mes oreilles ». Entendre les signes qui nous transforment de l’intérieur. Gardons notre porte ouverte à Jésus telle Elisabeth accueillant Marie. Mettons-nous en mouvement telle Marie s’empressant d’annoncer la bonne nouvelle. L’incarnation de Jésus nous rappelle l’importance de prendre soin de Lui. Prendre soin de la présence de Dieu.e en nous et dans le monde. Il a besoin de gestes, il a besoin d’être rassuré. Jésus, en devenant enfant de l’humanité, s’est confié à nous pour qu’on l’aime et le soigne.
Et si aujourd’hui, je peine à entendre les signes de sa présence, quand je vois mon bébé s’abandonner à la confiance de mon amour par la chaleur de ma main posée sur elle, je perçois les prémices de la joie de Noël : Jésus s’est abandonné à l’amour des humains, petit bébé humble et dépendant. Je dois prendre soin de lui autant que je dois le laisser me soigner, sa main sur mon ventre, rassurante et consolatrice pour retrouver la confiance et sentir sa présence même dans son absence. ↓
Maud Bénézit

Maud Bénézit a longtemps pensé que pour être Saint.e il fallait être parfait.e : calme, silencieux.se et bien peigné.e (comme dans Tom-Tom et Nana dans l’épisode où ils rangent trop bien leur chambre). Avec son rire trop bruyant, ses cheveux emmêlés, sa propension au bazar et au retard, il a vite fallu envisager une autre voie. Alors elle collectionne les cailloux doux et met en BD la vie des autres et la sienne pour tenter de poser des mots et des images sur la beauté de la vie et la complexité des sentiments humains. Et aussi pourquoi pas, pour faire un peu réfléchir et bouger les choses ?