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Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S5 Episode 5
29/03/2024 – Vendredi saint
Lecture de l’évangile : Estelle
Textes du jour
Is 52, 13 – 52, 12
Ps 30
He 4, 14 – 5, 9
Jn 18,1 – 19, 42
(Lire les textes sur aelf.org)
Le texte de l’homélie
Nous y voilà. L’histoire est proche de sa fin.
L’histoire d’un homme, le Christ, qui après s’être promené pendant des années en Galilée avec ses amis, avoir bu, mangé, ri, soigné, parlé, aimé, choisit délibérément de souffrir un calvaire et de mourir, par amour pour l’humanité.
Mais ça veut dire quoi, ça, choisir de souffrir, de mourir, par amour ? En quoi est-ce que sa souffrance nous sauve ? En quoi est-ce que choisir la souffrance aide les autres ? Comme les disciples, je suis dubitative sur le plan.
« Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur » nous dit Isaïe dans la première lecture. « Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur »… Je crois qu’il ne faut pas entendre là une glorification de la souffrance pour elle-même, le Seigneur aime que tu souffres , mais entendre que ce que Jésus aime c’est non pas la souffrance, mais celleux qui souffrent. Le Seigneur se place toujours du côté des opprimé.es.
Dieu.e est avec les enfants de Gaza qui agonisent dans un pays massacré. Il est avec les migrants de la Méditerranée victimes de politiques inhumaines. Il est avec les jeunes des quartiers populaires victimes de pratiques policières violentes et racistes. Il est avec les habitant.es des Antilles victimes du chlordécone. Il est avec les femmes victimes de la violence patriarcale. Il est avec celles et ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois. Le Christ est avec toutes celles et ceux qui souffrent.
Plus loin, le prophète reprend : « En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. »
Cette phrase m’interpelle. Parfois on trouve absurde les croyances des anciens sur le fait que les malades ou les pauvres l’étaient par la faute d’un châtiment divin. Et pourtant, j’ai moi-même grandi avec l’idée que les pauvres et les malades d’aujourd’hui l’étaient à cause d’un manque de chance ou du hasard (et le mythe de la méritocratie nous enjoint même à considérer qu’iels le sont à cause de leur propre responsabilité — pauvres parce qu’iels n’ont pas assez travaillé, malade parce qu’ils n’ont pas assez fait de sport ou qu’iels n’ont pas fait d’effort sur leur alimentation).
Comme à l’époque, cette idée que les inégalités sont dues soient aux individus qui en sont victimes (il n’a pas fait d’effort / il a irrité Dieu tout-puissant) soit à quelque chose d’inéluctable (le hasard / la volonté divine) sert à invisibiliser les systèmes de domination (économique / raciale / de genre / etc.) qui en sont la principale cause.
Jésus tout au long de sa vie a soigné les malades, soutenu les femmes, donné de l’importance aux enfants. Il a rétabli la vérité : ce n’est pas Dieu qui crée les injustices. Dieu aime toutes ces personnes. Dieu est avec elles, en elles, de leur côté, toujours.
« Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé ».
Alors, et si c’était notre responsabilité dans les systèmes de domination que pointait Isaïe ?
Prenons le temps de nous interroger.
Quelle complicité, quelle complaisance, quelle tolérance ai-je à l’égard de ces systèmes ? Quelle part de responsabilité je porte dans la souffrance du monde ? Avec quel système d’oppression je collabore, à quelle oppression est-ce que je contribue ? Est-ce que je laisse faire ?
Quels sont mes privilèges ? Suis-je un homme, suis-je blanc.he, suis-je valide, en bonne santé, riche, instruit.e ? Et est-ce que j’ai conscience de ces privilèges ? Et qu’est-ce que j’en fais ? Comment je lutte pour l’égalité ?
Se questionner, non pour se flageller ou s’affliger, mais pour laisser le Christ faire la lumière, débusquer ce qui en nous « se voile la face » devant la souffrance des opprimé.es. Se laisser transpercer par la vérité.
Jésus dîne avec ses amis, puis il les emmène dans la nuit, dans un jardin qui sent bon le thym et la sève de figuier. Il fait frais, il y a des étoiles, ils sont entre amis, ils ont bien mangé. Et Jésus sait « tout ce qui [va] lui arriver ». Il ne se dérobe pas. Quand les gardes arrivent et annoncent chercher Jésus, il répond « C’est moi, je le suis ». En miroir exact au « non, je ne le suis pas » du reniement de Pierre quelques heures plus tard.
Le Christ, malgré la peur qui l’étreint, prend résolument le chemin de la torture et de la mort. Pourquoi ? Est-ce qu’il ne devrait pas plutôt continuer dans la lignée de sa colère contre les marchands du Temple ? Continuer à renverser les tables jusqu’à en avoir fini avec l’argent, le pouvoir, les injustices, les oppressions et la douleur ?
… Peut-être qu’il ne pouvait pas renverser la table jusqu’à rétablir la justice et la paix.
Dans l’enfer des camps de la seconde guerre mondiale, Etty Hillesum écrit ceci : « Je vais T’aider, mon Dieu, à ne pas T’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas Toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons T’aider – et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. […] Il m’apparaît de plus en plus clairement, presque à chaque pulsation de mon cœur, que Tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de T’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui T’abrite en nous. »
Peut-être que Dieu n’est pas, n’est plus, tout-puissant. Que dans la liberté qu’il a donné à l’humain pour pouvoir entrer en relation avec lui, il était inévitable qu’il se défasse de sa toute-puissance.
Peut-être qu’en se faisant humain jusqu’au bout, en buvant la coupe que lui a donnée le Père, en accomplissant le mystérieux plan divin, Jésus fait ce qu’il peut faire de plus pour l’humanité. Partager, profondément, absolument, dans sa chair, la souffrance. Et que le reste, seuls les humains peuvent le faire. C’est à nous de conquérir, pas à pas, la liberté, l’égalité et la justice. À nous de construire, brique après brique, un monde de paix.
Alors, aidons, comme Etty, Dieu à ne pas s’éteindre en nous. Dans ce monde en miettes, où la haine se déchaîne, rentrons en nous-même, et faisons-y de la place pour Dieu.
Et dans le même élan, nourri.es de sa présence, portons notre regard au dehors et ouvrons notre cœur au sort de nos semblables. Même si ça fait mal. Déchirons les voiles de privilèges, d’habitude et de prudence qui nous aveuglent. Avec l’aide du Christ, nous en serons capables.
Avec lui, nous pourrons garder le cap sur l’essentiel, sur l’amour, et faire des choix profondément justes, même au cœur des plus terribles tempêtes.
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L’histoire d’un homme, le Christ, qui après s’être promené pendant des années en Galilée avec ses amis, avoir bu, mangé, ri, soigné, parlé, aimé, choisit délibérément de souffrir un calvaire et de mourir, par amour pour l’humanité.
Mais ça veut dire quoi, ça, choisir de souffrir, de mourir, par amour ? En quoi est-ce que sa souffrance nous sauve ? En quoi est-ce que choisir la souffrance aide les autres ? Comme les disciples, je suis dubitative sur le plan.
« Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur » nous dit Isaïe dans la première lecture. « Broyé par la souffrance, il a plu au Seigneur »… Je crois qu’il ne faut pas entendre là une glorification de la souffrance pour elle-même, le Seigneur aime que tu souffres , mais entendre que ce que Jésus aime c’est non pas la souffrance, mais celleux qui souffrent. Le Seigneur se place toujours du côté des opprimé.es.
Dieu.e est avec les enfants de Gaza qui agonisent dans un pays massacré. Il est avec les migrants de la Méditerranée victimes de politiques inhumaines. Il est avec les jeunes des quartiers populaires victimes de pratiques policières violentes et racistes. Il est avec les habitant.es des Antilles victimes du chlordécone. Il est avec les femmes victimes de la violence patriarcale. Il est avec celles et ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois. Le Christ est avec toutes celles et ceux qui souffrent.
Plus loin, le prophète reprend : « En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. »
Cette phrase m’interpelle. Parfois on trouve absurde les croyances des anciens sur le fait que les malades ou les pauvres l’étaient par la faute d’un châtiment divin. Et pourtant, j’ai moi-même grandi avec l’idée que les pauvres et les malades d’aujourd’hui l’étaient à cause d’un manque de chance ou du hasard (et le mythe de la méritocratie nous enjoint même à considérer qu’iels le sont à cause de leur propre responsabilité — pauvres parce qu’iels n’ont pas assez travaillé, malade parce qu’ils n’ont pas assez fait de sport ou qu’iels n’ont pas fait d’effort sur leur alimentation).
Comme à l’époque, cette idée que les inégalités sont dues soient aux individus qui en sont victimes (il n’a pas fait d’effort / il a irrité Dieu tout-puissant) soit à quelque chose d’inéluctable (le hasard / la volonté divine) sert à invisibiliser les systèmes de domination (économique / raciale / de genre / etc.) qui en sont la principale cause.
Jésus tout au long de sa vie a soigné les malades, soutenu les femmes, donné de l’importance aux enfants. Il a rétabli la vérité : ce n’est pas Dieu qui crée les injustices. Dieu aime toutes ces personnes. Dieu est avec elles, en elles, de leur côté, toujours.
« Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé ».
Alors, et si c’était notre responsabilité dans les systèmes de domination que pointait Isaïe ?
Prenons le temps de nous interroger.
Quelle complicité, quelle complaisance, quelle tolérance ai-je à l’égard de ces systèmes ? Quelle part de responsabilité je porte dans la souffrance du monde ? Avec quel système d’oppression je collabore, à quelle oppression est-ce que je contribue ? Est-ce que je laisse faire ?
Quels sont mes privilèges ? Suis-je un homme, suis-je blanc.he, suis-je valide, en bonne santé, riche, instruit.e ? Et est-ce que j’ai conscience de ces privilèges ? Et qu’est-ce que j’en fais ? Comment je lutte pour l’égalité ?
Se questionner, non pour se flageller ou s’affliger, mais pour laisser le Christ faire la lumière, débusquer ce qui en nous « se voile la face » devant la souffrance des opprimé.es. Se laisser transpercer par la vérité.
Jésus dîne avec ses amis, puis il les emmène dans la nuit, dans un jardin qui sent bon le thym et la sève de figuier. Il fait frais, il y a des étoiles, ils sont entre amis, ils ont bien mangé. Et Jésus sait « tout ce qui [va] lui arriver ». Il ne se dérobe pas. Quand les gardes arrivent et annoncent chercher Jésus, il répond « C’est moi, je le suis ». En miroir exact au « non, je ne le suis pas » du reniement de Pierre quelques heures plus tard.
Le Christ, malgré la peur qui l’étreint, prend résolument le chemin de la torture et de la mort. Pourquoi ? Est-ce qu’il ne devrait pas plutôt continuer dans la lignée de sa colère contre les marchands du Temple ? Continuer à renverser les tables jusqu’à en avoir fini avec l’argent, le pouvoir, les injustices, les oppressions et la douleur ?
… Peut-être qu’il ne pouvait pas renverser la table jusqu’à rétablir la justice et la paix.
Dans l’enfer des camps de la seconde guerre mondiale, Etty Hillesum écrit ceci : « Je vais T’aider, mon Dieu, à ne pas T’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire : ce n’est pas Toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons T’aider – et, ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes. […] Il m’apparaît de plus en plus clairement, presque à chaque pulsation de mon cœur, que Tu ne peux pas nous aider, mais que c’est à nous de T’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui T’abrite en nous. »
Peut-être que Dieu n’est pas, n’est plus, tout-puissant. Que dans la liberté qu’il a donné à l’humain pour pouvoir entrer en relation avec lui, il était inévitable qu’il se défasse de sa toute-puissance.
Peut-être qu’en se faisant humain jusqu’au bout, en buvant la coupe que lui a donnée le Père, en accomplissant le mystérieux plan divin, Jésus fait ce qu’il peut faire de plus pour l’humanité. Partager, profondément, absolument, dans sa chair, la souffrance. Et que le reste, seuls les humains peuvent le faire. C’est à nous de conquérir, pas à pas, la liberté, l’égalité et la justice. À nous de construire, brique après brique, un monde de paix.
Alors, aidons, comme Etty, Dieu à ne pas s’éteindre en nous. Dans ce monde en miettes, où la haine se déchaîne, rentrons en nous-même, et faisons-y de la place pour Dieu.
Et dans le même élan, nourri.es de sa présence, portons notre regard au dehors et ouvrons notre cœur au sort de nos semblables. Même si ça fait mal. Déchirons les voiles de privilèges, d’habitude et de prudence qui nous aveuglent. Avec l’aide du Christ, nous en serons capables.
Avec lui, nous pourrons garder le cap sur l’essentiel, sur l’amour, et faire des choix profondément justes, même au cœur des plus terribles tempêtes.
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Louise Plantin

Louise Plantin est illustratrice et autrice de bande dessinée, engagée sur les questions d’écologie et de justice sociale. Elle dessine pour Bonne Nouv.elle depuis le lancement du podcast.