#
Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S5 Episode 1
25/12/2023 – Noël
Lecture de l’évangile : Amélie
Textes du jour
Is 52, 7-10
Ps 97
He 1, 1-6
Jn 1, 1-18
(Lire les textes sur aelf.org)
Le texte de l’homélie
Il y a quelques semaines, l’émission En quête de politique sur France Inter sortait un épisode intitulé « le catholicisme de gauche ». Je l’ai écouté, curieuse de savoir si on allait y parler de l’action catholique, mon monde, mon espace d’engagement, mon héritage spirituel, en d’autres termes, mon Eglise. J’ai été presque surprise d’entendre, au début de l’émission, François Ruffin parler de son rapport au Christ et à la religion. Il disait « le Christ est avant tout un homme de parole, un homme qui parle et qui met les gens debout, il arrive à relever les âmes par la parole » et concluait en rappelant « au commencement était le verbe ! »
Quelques jours plus tard, on me proposait de discuter de ce texte, de cet extrait de l’évangile selon Saint Jean, qui parle du verbe, de la parole. On me proposait de mettre mes mots sur ces mots, de prendre la parole sur le sujet de la parole comme précédant toute chose, thème majeur s’il en est.
Je mesurais ma chance et en même temps immédiatement je questionnais ma légitimité. Qui suis-je pour prendre la parole ? quelle pertinence à mon approche ? Qui serait bien plus apte que moi ? Ce sentiment prend d’autant plus de place en relisant ce texte qui explicite tout l’enjeu de la parole, toute son importance : « C’est par elle que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des êtres humains ». On ne plaisante pas, c’est un sujet de la plus haute importance, il s’agit de confier quelque chose d’aussi majeur que la parole à des personnes qui sauraient quoi en faire, qui sauraient mener à bien la mission qu’elle confère.
Depuis que je suis petite, j’entends que les femmes sont bavardes. Étant moi-même de nature très bavarde, c’est quelque chose qu’on m’a renvoyé toute ma vie, et je me rappelle les commentaires des amis de mes parents (souvent des hommes), invités à la maison, sur mon « débit de paroles ». J’ai appris à surveiller mon babillage incessant, d’autant qu’en plus de parler beaucoup je parle vite et je ris fort, ce qui fait beaucoup pour une personne. Ou en tout cas, ça fait beaucoup pour une femme.
J’ai mis du temps à saisir que ce mythe de la femme bavarde (car oui il s’agit bien d’un mythe, les recherches montrent que ce sont en fait les hommes qui – sans surprise – ont le monopole de la parole), j’ai mis du temps à comprendre que ce mythe donc, était le fruit d’une norme, difficilement dicible mais pourtant réelle : la place des femmes dans la société est dans le silence. A partir de là, toute parole est considérée comme étant de trop. Et cela brouille effectivement nos perceptions, comme le montre Corinne Monnet dans son étude sur le travail de la conversation : quand une femme parle aussi longtemps qu’un homme, on a l’impression que sa prise de parole était plus longue. En revanche, on s’offusquera peu de la manière pourtant courante avec laquelle les hommes interrompent les femmes, leur coupant la parole comme si c’était une pratique conversationnelle normale.
Dans mon espace d’engagement, la parole et sa répartition sont au cœur des préoccupations. Je milite et travaille au sein d’un Mouvement d’éducation populaire entièrement géré et animé par des jeunes de moins de 30 ans. La vie démocratique est au cœur de notre association, et le temps que nous lui dédions est conséquent. Dans ce contexte, la question de la répartition de la parole est primordiale. Il ne se passe pas une journée sans que je me questionne : ai-je trop parlé ? ou pas assez ? Ai-je été trop longue ? Ai-je voulu raboter ma prise de parole au point d’être imprécise et peu convaincante ? Comment puis-je encourager les nouveaux·elles et les plus jeunes à prendre la parole ? Quand je me surveille pour laisser la parole, pourquoi est-ce que ce sont toujours les mêmes qui la prennent ?
Ce que nous dit le texte du jour, c’est que Jésus est la parole de Dieu qui s’est faite chair. Or, Jésus fait parler les femmes. Il encourage Marthe à laisser les « affaires de la maison » pour rejoindre sa sœur Marie et discuter avec lui. Il converse avec la Samaritaine, à qui aucun autre Juif n’aurait sûrement adressé la parole. Je me dis que si je prends la parole, alors il faut que je le fasse comme lui. Et cette idée me parait presque immédiatement insolente. La parole représente un vrai pouvoir, et ça me semble audacieux voire très déplacé, que de prétendre l’exercer comme Jésus. Pourtant, quand il s’agit d’amour, je n’ai aucun problème à prendre Jésus comme modèle. Ça ne soulève chez moi aucune prétention à faire aussi bien, mais c’est l’horizon que je vise, c’est ma boussole. Alors pourquoi sur le rapport à la parole, ai-je l’impression de tomber dans le champ de l’orgueil ? Peut-être est-ce une question de fond et de forme. La Bonne Nouvelle du Christ est celle de l’Amour, c’est le fond. Réunir autour de lui des gens et prendre la parole publiquement pour annoncer cette nouvelle, c’est la forme. Haranguer les foules, capter l’attention de son public, marquer durablement les esprits par des phrases chocs, c’est une activité de prophète. Peut-être alors est-ce une question de statut : si la parole est l’apanage des prophètes, je ne suis certainement pas digne de m’en saisir. Pourtant, le dimanche j’ai l’occasion de m’assoir dans la foule, anonyme au milieu des anonymes, silencieuse dans le silence, pour écouter un homme, séparé de la foule, à part, reproduire le fond et la forme de l’annonce de Jésus. Et cela ne me choque pas une seconde, je ne le trouve pas prétentieux de prendre ce rôle. Mais quand lors d’une messe cet été j’ai pu entendre l’homélie écrite et prononcée par une femme, j’ai été profondément marquée. Et ça n’était pas seulement parce que la forme changeait, mais parce que le fond s’en ressentait grandement.
Je repense à la phrase de François Ruffin « Il met les gens debout, il relève les âmes par la parole ». Quand j’observe les situations de ma vie ou de la société plus largement, je remarque que ce sont souvent les femmes qui mettent les gens debout. Je pense à ma mère et à toutes mes amies qui parlent, qui parlent de leurs émotions, de leurs sentiments, qui prennent en charge le travail émotionnel dans leurs couples et leurs relations familiales ou amicales. Par la parole, elles déchargent d’autres personnes du fardeau du silence, elles libèrent les émotions de ceux qui ne savent pas parler de tout ça parce que le patriarcat les a coupés dans cet apprentissage. Ce sont aussi les femmes qui exercent majoritairement les métiers du soin, elles qui lavent, qui habillent, qui maquillent pour redresser fièrement les corps, pour réparer. Les mots d’encouragement qui ponctuent ces actes viennent rassurer, apaiser, fortifier. La notion de care, au sens de sollicitude, de soin, d’empathie, désigne un travail invisible, exercé principalement par les femmes. Il permet de prendre en compte les vulnérabilités de chacun·e dans la manière dont nous nous organisons et vivons collectivement. En ce sens, je me dis qu’en effet, la vie est dans la parole. Mais aussi que la parole est dans les femmes, non pas parce qu’elles sont bavardes, mais parce que l’usage qu’elles font de la parole me bouleverse. ↓
Quelques jours plus tard, on me proposait de discuter de ce texte, de cet extrait de l’évangile selon Saint Jean, qui parle du verbe, de la parole. On me proposait de mettre mes mots sur ces mots, de prendre la parole sur le sujet de la parole comme précédant toute chose, thème majeur s’il en est.
Je mesurais ma chance et en même temps immédiatement je questionnais ma légitimité. Qui suis-je pour prendre la parole ? quelle pertinence à mon approche ? Qui serait bien plus apte que moi ? Ce sentiment prend d’autant plus de place en relisant ce texte qui explicite tout l’enjeu de la parole, toute son importance : « C’est par elle que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des êtres humains ». On ne plaisante pas, c’est un sujet de la plus haute importance, il s’agit de confier quelque chose d’aussi majeur que la parole à des personnes qui sauraient quoi en faire, qui sauraient mener à bien la mission qu’elle confère.
Depuis que je suis petite, j’entends que les femmes sont bavardes. Étant moi-même de nature très bavarde, c’est quelque chose qu’on m’a renvoyé toute ma vie, et je me rappelle les commentaires des amis de mes parents (souvent des hommes), invités à la maison, sur mon « débit de paroles ». J’ai appris à surveiller mon babillage incessant, d’autant qu’en plus de parler beaucoup je parle vite et je ris fort, ce qui fait beaucoup pour une personne. Ou en tout cas, ça fait beaucoup pour une femme.
J’ai mis du temps à saisir que ce mythe de la femme bavarde (car oui il s’agit bien d’un mythe, les recherches montrent que ce sont en fait les hommes qui – sans surprise – ont le monopole de la parole), j’ai mis du temps à comprendre que ce mythe donc, était le fruit d’une norme, difficilement dicible mais pourtant réelle : la place des femmes dans la société est dans le silence. A partir de là, toute parole est considérée comme étant de trop. Et cela brouille effectivement nos perceptions, comme le montre Corinne Monnet dans son étude sur le travail de la conversation : quand une femme parle aussi longtemps qu’un homme, on a l’impression que sa prise de parole était plus longue. En revanche, on s’offusquera peu de la manière pourtant courante avec laquelle les hommes interrompent les femmes, leur coupant la parole comme si c’était une pratique conversationnelle normale.
Dans mon espace d’engagement, la parole et sa répartition sont au cœur des préoccupations. Je milite et travaille au sein d’un Mouvement d’éducation populaire entièrement géré et animé par des jeunes de moins de 30 ans. La vie démocratique est au cœur de notre association, et le temps que nous lui dédions est conséquent. Dans ce contexte, la question de la répartition de la parole est primordiale. Il ne se passe pas une journée sans que je me questionne : ai-je trop parlé ? ou pas assez ? Ai-je été trop longue ? Ai-je voulu raboter ma prise de parole au point d’être imprécise et peu convaincante ? Comment puis-je encourager les nouveaux·elles et les plus jeunes à prendre la parole ? Quand je me surveille pour laisser la parole, pourquoi est-ce que ce sont toujours les mêmes qui la prennent ?
Ce que nous dit le texte du jour, c’est que Jésus est la parole de Dieu qui s’est faite chair. Or, Jésus fait parler les femmes. Il encourage Marthe à laisser les « affaires de la maison » pour rejoindre sa sœur Marie et discuter avec lui. Il converse avec la Samaritaine, à qui aucun autre Juif n’aurait sûrement adressé la parole. Je me dis que si je prends la parole, alors il faut que je le fasse comme lui. Et cette idée me parait presque immédiatement insolente. La parole représente un vrai pouvoir, et ça me semble audacieux voire très déplacé, que de prétendre l’exercer comme Jésus. Pourtant, quand il s’agit d’amour, je n’ai aucun problème à prendre Jésus comme modèle. Ça ne soulève chez moi aucune prétention à faire aussi bien, mais c’est l’horizon que je vise, c’est ma boussole. Alors pourquoi sur le rapport à la parole, ai-je l’impression de tomber dans le champ de l’orgueil ? Peut-être est-ce une question de fond et de forme. La Bonne Nouvelle du Christ est celle de l’Amour, c’est le fond. Réunir autour de lui des gens et prendre la parole publiquement pour annoncer cette nouvelle, c’est la forme. Haranguer les foules, capter l’attention de son public, marquer durablement les esprits par des phrases chocs, c’est une activité de prophète. Peut-être alors est-ce une question de statut : si la parole est l’apanage des prophètes, je ne suis certainement pas digne de m’en saisir. Pourtant, le dimanche j’ai l’occasion de m’assoir dans la foule, anonyme au milieu des anonymes, silencieuse dans le silence, pour écouter un homme, séparé de la foule, à part, reproduire le fond et la forme de l’annonce de Jésus. Et cela ne me choque pas une seconde, je ne le trouve pas prétentieux de prendre ce rôle. Mais quand lors d’une messe cet été j’ai pu entendre l’homélie écrite et prononcée par une femme, j’ai été profondément marquée. Et ça n’était pas seulement parce que la forme changeait, mais parce que le fond s’en ressentait grandement.
Je repense à la phrase de François Ruffin « Il met les gens debout, il relève les âmes par la parole ». Quand j’observe les situations de ma vie ou de la société plus largement, je remarque que ce sont souvent les femmes qui mettent les gens debout. Je pense à ma mère et à toutes mes amies qui parlent, qui parlent de leurs émotions, de leurs sentiments, qui prennent en charge le travail émotionnel dans leurs couples et leurs relations familiales ou amicales. Par la parole, elles déchargent d’autres personnes du fardeau du silence, elles libèrent les émotions de ceux qui ne savent pas parler de tout ça parce que le patriarcat les a coupés dans cet apprentissage. Ce sont aussi les femmes qui exercent majoritairement les métiers du soin, elles qui lavent, qui habillent, qui maquillent pour redresser fièrement les corps, pour réparer. Les mots d’encouragement qui ponctuent ces actes viennent rassurer, apaiser, fortifier. La notion de care, au sens de sollicitude, de soin, d’empathie, désigne un travail invisible, exercé principalement par les femmes. Il permet de prendre en compte les vulnérabilités de chacun·e dans la manière dont nous nous organisons et vivons collectivement. En ce sens, je me dis qu’en effet, la vie est dans la parole. Mais aussi que la parole est dans les femmes, non pas parce qu’elles sont bavardes, mais parce que l’usage qu’elles font de la parole me bouleverse. ↓
Manon Rousselot-Pailley

Manon Rousselot-Pailley vient d’un milieu viticole dans le Jura mais vit actuellement en région parisienne, où elle est présidente du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne. Elle milite principalement sur les questions d’agriculture paysanne, de ruralité et de jeunesse, mais aussi au sein de l’Eglise, qu’elle rêverait de voir plus inclusive.