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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S4 Episode 4

18/12/2022 – 4e dimanche de l’avent

Lecture de l’évangile : Estelle

Homélie : Mathilde Hallot-Charmesson

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Is 7, 10-16
Ps 23
Rm 1, 1-7
Mt 1, 18-24
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

J’aimerais avoir quelque chose d’édifiant à vous dire sur ce passage.
J’aimerais vous dire par exemple que Joseph joue un rôle clé dans la construction de la figure de Jésus comme Messie car il l’inscrit dans la lignée royale de David. Qu’il est comme un nouveau Joseph, le fils de Jacob mentionné dans la Genèse et que ce songe est un écho des songes que Joseph interprète et qu’il reçoit lui-même en Egypte.
Ou alors
j’aimerais développer l’analyse du très beau parallèle entre ce texte et l’annonciation dans Luc. Un peu comme si l’évangéliste Matthieu choisissait de nous présenter une scène qui forme diptyque avec celle que nous connaissons bien, l’annonce à Marie. Et c’est beau parce que la paternité de Joseph et le rôle qu’il va jouer dans la vie du Christ est un appel divin, une vocation tout aussi forte que celle de Marie. Dans l’Eglise, on insiste énormément sur l’obéissance de Marie au dessein de Dieu, le fameux « Fiat » ou « Oui » qu’elle dit à l’ange. On a d’ailleurs souvent tendance à en faire une vertu proprement féminine. Mais cette scène nous montre que Joseph lui aussi obéit à l’appel de Dieu ! Cette obéissance à la volonté de Dieu n’est donc pas proprement féminine, c’est une vertu que tout croyant se doit de cultiver s’il veut vivre avec le Seigneur.
Mais voilà, la phrase qui m’a frappée quand j’ai lu, relu et puis relu une nouvelle fois cet évangile c’est le v. 19 : « Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret. » J’ai rassemblé mes souvenirs d’homélies passées, j’ai fouillé un peu internet et lu deux-trois méditations de ce texte. En général, les commentateurs s’accordent pour nous inviter à admirer Joseph : il sait que Marie est enceinte d’un enfant qui n’est pas de lui et, au lieu de la désigner à la vindicte publique en la répudiant – lui faisant ainsi risquer la lapidation, peine prévue pour les femmes adultères dans le Lévitique [1] , il décide de la renvoyer en secret. Quelle bonté ! Sauf que si l’on y réfléchit un peu plus avant, même si Joseph ne répudie pas publiquement sa fiancée, Marie est toujours enceinte. A ce stade de l’Evangile, si on prend en compte les récits des Evangiles synoptiques, elle doit être enceinte de trois à six mois. Bref, elle ne va pas pouvoir le cacher très longtemps. Et en tant que jeune femme célibataire enceinte, que croyez-vous qu’il va lui arriver ? Probablement la lapidation, pareil en fait [2]. Le choix que lui laisse Joseph en l’abandonnant, c’est la lapidation ou, dans le meilleur des cas, se trouver vite fait un homme qui acceptera de l’épouser et à qui elle pourra faire croire que l’enfant est de lui. Merveilleuse alternative, n’est-ce pas ?
La « justice » de Joseph consiste donc simplement à ne pas prendre la responsabilité de ce qui risque d’arriver à Marie. En la quittant en secret, il la laisse se débrouiller, en sachant très bien ce qui risque de lui arriver. Mais il préfère avoir les mains propres et ne pas assumer d’être à l’origine de son châtiment. Il reste en conformité avec la loi juive sans faire le « sale boulot » qu’elle comporte. Il se donne bonne conscience à peu de frais. Dans ces conditions, c’est plutôt facile d’être juste pour les hommes finalement. Ça ne coûte pas très cher. Marie, elle, n’a pas le luxe de se poser la question de la justice.
Donc j’étais en colère, et pas qu’un peu.
Ça a continué quand j’ai lu la suite du texte, v. 20 : « Joseph […] ne crains pas de prendre chez toi Marie ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ». Donc Joseph a besoin de l’assurance d’un ange que l’enfant attendu n’est pas le fruit d’un adultère pour ne pas acculer Marie à la lapidation ?!? Il ne peut pas simplement lui faire confiance ? Ou même, accepter le doute mais se marier avec elle pour lui épargner la mort ? Ah, bravo, elle est belle la justice masculine !
Ce « ne crains pas » en particulier, m’a donné du fil à retordre. Qu’est-ce que Joseph a à craindre en « prenant Marie chez [lui] » ? Quelques racontars devant une naissance un peu rapide ? Au pire on louera sa virilité… « Ce Joseph, quel homme ! Il n’a pas pu attendre le mariage… mais vous savez, les hommes c’est comme ça, ils ont des pulsions… »
En fait, cette crainte dont parle l’ange, c’est la peur primitive des hommes, depuis qu’ils ont découvert que les femmes avaient le « privilège exorbitant d’enfanter », pour reprendre les mots de l’anthropologue Françoise Héritier. Les femmes peuvent créer et porter la vie et la filiation maternelle de l’enfant qui naît est toujours sûre. Mais comment identifier le père à une époque où les tests ADN n’existent pas ? Un homme ne peut jamais être complètement sûr de sa paternité. Et la situation de Joseph est un peu le cauchemar originel de tout homme : devoir endosser la paternité d’un enfant qui n’est pas le sien, introduire un sang étranger dans la lignée… la faille fondamentale du patriarcat (et la raison pour laquelle il faut surveiller les femmes et réglementer l’usage qu’elles font de leur corps).
L’ange appelle Joseph à renoncer à cette inquiétude ontologique, consubstantielle à la masculinité. Et si on veut chausser des lunettes féministes pour le lire, on peut voir en ce texte une remise en cause de la racine même du patriarcat. A l’appel de l’ange, Joseph accepte de ne pas contrôler sa femme, tellement qu’il ne la touche même pas avant le mariage. Il devient alors un « homme juste » pour notre temps – un exemple de masculinité post-patriarcale.
Pour moi cette annonce à Joseph nous renvoie à notre vocation : pour la remplir pleinement Dieu nous appelle à dépasser ce que peuvent avoir de toxique et d’enfermant la féminité et la masculinité et à devenir des hommes et des femmes justes c’est-à-dire chez qui féminité et masculinité sont ajustés et équilibrés, au-delà des stéréotypes de genre véhiculés par notre société et parfois promus par l’Eglise.
Notes : [1] Quand un homme commet l’adultère avec la femme de son prochain, cet homme adultère et cette femme seront mis à mort. Lv 20,10.

[2] Dt 22, 23 : « Lorsqu’il y a une jeune fille vierge, fiancée à un homme et qu’un homme la rencontre dans la ville et couche avec elle dans la ville, vous les ferez sortir tous les deux à la porte de cette ville, vous les lapiderez avec des pierres et ils mourront. »

Mathilde Hallot-Charmesson

Historienne de formation, passionnée de littérature, je suis aujourd’hui conservatrice de bibliothèque. En 2019, j’ai créé un podcast, Des femmes et un Dieu, pour donner la parole aux femmes sur leur vie spirituelle. En juillet 2022, Des femmes et un Dieu a donné naissance à une association qui propose, outre les épisodes du podcast, des cercles de femmes et des retraites en ligne et en présence.