#
Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S3 Episode 21
03/04/2022 – 5e dimanche de Carême
Lecture de l’évangile : Astrid
Textes du jour
Le texte de l’homélie
Depuis quelque temps je me suis installée en Italie et j’apprends la langue du pays. A chaque exercice de grammaire, cela ne rate pas, un des exemples fait nécessairement référence à un homme adultère. Je ne sais pas d’où vient cette obsession : est-ce que c’est de la fierté ou un tropisme national, un préjugé ou une réputation à tenir ? En tous les cas, je suis stupéfaite de constater comment ces exercices véhiculent l’idée que l’adultère est un sport national auquel s’adonne les hommes et, à en croire le livre de grammaire, uniquement les hommes. A tel point que dans la gestuelle italienne si renommée, il existe un geste précis de la main – des petites cornes formées par l’index et l’auxiliaire – pour signifier cet état de fait. J’étais donc très surprise en préparant cette homélie de redécouvrir – enfin ! – une histoire où l’actrice principale de l’adultère est une femme. Il a fallu attendre de lire l’Évangile, ce texte a priori un peu has been compte tenu de sa date de rédaction pour qu’il ne soit pas toujours question d’hommes quand il s’agit de parler de sexe.
Évidemment, les conséquences de l’adultère ne sont pas les mêmes dans ces deux situations ; pour l’homme de mes exercices de grammaire, il s’agit presque d’un péché mignon que la société pardonne aisément et dont on rigole allègrement ; pour la femme du récit évangélique, il s’agit d’un crime passible de mort ou, aujourd’hui encore, d’un « manque de respect pour elle-même » comme je l’ai entendu, effarée, déjà plusieurs fois dans des milieux catholiques de mon âge.
C’est tout le contraire que je comprends de cet épisode que la tradition appelle la « femme adultère ».
Ce que je saisis de ce texte c’est que finalement c’est peut-être plutôt parce qu’elle veut se respecter qu’elle couche avec une autre personne – voire plusieurs, le texte ne précise pas – que celle qu’elle a légalement épousée. Rien n’est dit sur les motivations de cette femme alors que ce sont justement ces motivations intérieures qui peuvent nous éclairer sur le sens de cette péricope. Et vu le peu de questions que Jésus lui pose, il semble la comprendre intuitivement. Alors qu’elles peuvent-elles être ces raisons ?
La plus évidente pourrait être que cette femme est allée chercher du plaisir ou du réconfort ou de l’amour ou probablement un peu des trois, dans les bras d’un.e autre parce qu’elle n’en recevait pas dans son couple ou dans sa vie présente. Parce qu’elle se respecte, elle dit NON à une situation qui ne lui convient pas ou plus. En cela, elle a bien fait. Elle a su reconnaître en elle un besoin fondamental et elle a trouvé un moyen pour y répondre. Elle fait plutôt preuve de courage car elle ose faire passer, pour elle-même, le respect de son besoin humain vital d’intimité devant les qu’en-dira-t-on.
On peut aussi imaginer que cette femme a, au fond d’elle, une peur terrible de l’intimité. Peut-être qu’au fond la performance sexuelle dans une relation illégale, derrière toute l’excitation que produit la transgression, la protège de cette peur de se rendre vulnérable. La peur « d’être connue » comme le dit si pudiquement la Bible. Et ce serait bien compréhensible. A moins d’avoir fait l’expérience au plus profond de son être de l’acceptation radicale de soi-même, il est difficile de pleinement tolérer d’être « connu.e ». Ainsi elle chercherait à dépasser sa peur et à faire l’expérience d’être aimée juste comme elle est, sans avoir à plaire ou à performer de certaines manières calculées pour gagner l’amour ou l’approbation d’une personne importante à ses yeux. Cette femme adultère nous montre en réalité sa volonté d’entrer dans un état d’être avec une autre personne qui demande un courage rare.
De ce point de vue, cette « femme adultère » est un modèle pour chacun.e d’entre nous car nous sommes toustes concerné.e.s d’une manière ou d’une autre par ce défi de s’aimer soi-même inconditionnellement. Il serait dommage que le lourd poids de culpabilité dont est chargé ce mot « d’adultère », qui n’apparaît d’ailleurs pas dans le texte, nous fasse rater l’exemple que cette femme désignée de manière si péjorative peut être pour nous. Il y a un véritable renversement réalisé par Jésus dans cette péricope ; la femme qui est dite adultère se révèle être une femme fidèle, fidèle à elle-même. Elle avance vers le meilleur de ce que la vie peut lui offrir et montre qu’elle veut recevoir ce cadeau au lieu de se regarder, étrangère à soi-même, subir sa vie en priant pour qu’elle s’améliore.
Au fond, le problème est que la solution qu’elle a trouvée pour prendre soin de son besoin la met en danger de mort dans sa société. Si la racine du verbe « pécher » en hébreu signifie « rater sa cible », alors on peut comprendre que Jésus invite cette femme non pas, de manière grossière, à cesser de coucher avec d’autres personnes, mais de ne pas rater sa cible dans la réponse à son besoin. Finalement Jésus en lui disant “va ne pèche plus » ne lui donne pas un conseil moral mais un encouragement à poursuivre : va, ose dire non, si la relation avec ton mari ne te convient plus, respecte ton intégrité et la vie en toi qui te veut pleinement vivante. Va ne pêche plus ça veut dire « prend la responsabilité de ta vie, elle t’appartient ».
J’aime particulièrement ce détail du texte « ils s’en allaient un à un, en commençant par les plus âgés » : ce n’est donc pas la personne qui est en cause ni sa qualité morale intrinsèque. On mesure que c’est plutôt le temps qui passe qui laisse toujours plus d’occasions de faire des erreurs, de « rater sa cible ». Ces hommes sont devenus des experts à voir dans les autres leurs propres fragilités et ratages incarnés. Finalement, ce n’est pas la femme qui est libérée ou plutôt ce n’est pas cette femme dite adultère qui a besoin d’être libérée, ce sont ces hommes si avides d’une justice punitives, en actes ou en mots, qui sont libérés par la parole de Jésus.
C’est le même verbe qui est employé dans la scène de lapidation du Livre des Juges (Jg 20, 12-17) où on retrouve ce lien entre le péché et le jet de pierre. Pour défendre leur tribu, les fils de Benjamin peuvent « lancer une pierre sur un cheveux sans le manquer ». Dans l’évangile d’aujourd’hui, les hommes qui se pensaient justes s’avèrent être ceux qui ont raté leur cible et repartent tout penauds.
Je retiens donc une chose principale de cette femme que Jésus encourage à être fidèle à elle-même :
C’est d’avoir le courage de prendre la responsabilité personnelle de nos propres besoins quoique puisse en dire les langues bavardes des « braves gens bien avisés » dirait Brassens. Cela signifie simplement de discerner pour nous-mêmes ce qui est bon ou non pour notre croissance.
La responsabilité de nos propres besoins est une clé pour faire croître l’amour en soi. Et même pour faire l’expérience personnelle, dans un lieu très privé en soi, de l’amour inconditionnel de Dieu. On peut commencer à y veiller pendant ce carême ; un des piliers du carême étant l’aumône, on pourrait débuter chaque journée de la semaine prochaine en décidant d’une aumône pour soi-même. Ce peut être un bouquet de fleurs ou juste une fleur, une ballade en solitaire à la nuit tombée, un café en terrasse au soleil, une séance de sport, la lecture d’un poème dans le silence du matin, prendre ce temps de prière ou de méditation sans cesse remis au lendemain, aller au théâtre ou au cinéma, contempler ses enfants jouer ou parler tout seul, etc… et se délecter d’observer combien, au fil des jours, chacune de ces attentions étoffe, renforce, le lien à cet espace très privé en soi d’amour infini. On peut même aller plus loin : quelle serait cette aumône à me donner sur le plan de mon intimité physique ? est-ce que c’est se donner du plaisir solitaire, ou quelque chose à déposer à mon conjoint dans ce qui me convient pas dans nos pratiques sexuelles ? ou est-ce que c’est de lever un jugement sur l’une ou l’autre de mes pratiques actuelles ? Je ne doute pas que cette proposition soit déstabilisante. En dépit des apparences, rien de cela n’est facile. Le démon ou des réflexes auto-saboteurs peuvent nous inspirer cette pensée « pfff quelle honte, l’Évangile n’est pas un guide de bien-être ! ». C’est probablement le signe qu’il est urgent de s’engager sur cette voie-là, au moins d’essayer. Osons emprunter des chemins inconnus, peut-être « honteux » ou « ridicules » comme le souffle le diviseur. « Ne songeons plus aux choses d’autrefois » comme le conseil Isaïe, et selon les mots du psalmiste laissons-nous « en grande fête » pour que le Seigneur fasse toute chose nouvelle. ↓
Évidemment, les conséquences de l’adultère ne sont pas les mêmes dans ces deux situations ; pour l’homme de mes exercices de grammaire, il s’agit presque d’un péché mignon que la société pardonne aisément et dont on rigole allègrement ; pour la femme du récit évangélique, il s’agit d’un crime passible de mort ou, aujourd’hui encore, d’un « manque de respect pour elle-même » comme je l’ai entendu, effarée, déjà plusieurs fois dans des milieux catholiques de mon âge.
C’est tout le contraire que je comprends de cet épisode que la tradition appelle la « femme adultère ».
Ce que je saisis de ce texte c’est que finalement c’est peut-être plutôt parce qu’elle veut se respecter qu’elle couche avec une autre personne – voire plusieurs, le texte ne précise pas – que celle qu’elle a légalement épousée. Rien n’est dit sur les motivations de cette femme alors que ce sont justement ces motivations intérieures qui peuvent nous éclairer sur le sens de cette péricope. Et vu le peu de questions que Jésus lui pose, il semble la comprendre intuitivement. Alors qu’elles peuvent-elles être ces raisons ?
La plus évidente pourrait être que cette femme est allée chercher du plaisir ou du réconfort ou de l’amour ou probablement un peu des trois, dans les bras d’un.e autre parce qu’elle n’en recevait pas dans son couple ou dans sa vie présente. Parce qu’elle se respecte, elle dit NON à une situation qui ne lui convient pas ou plus. En cela, elle a bien fait. Elle a su reconnaître en elle un besoin fondamental et elle a trouvé un moyen pour y répondre. Elle fait plutôt preuve de courage car elle ose faire passer, pour elle-même, le respect de son besoin humain vital d’intimité devant les qu’en-dira-t-on.
On peut aussi imaginer que cette femme a, au fond d’elle, une peur terrible de l’intimité. Peut-être qu’au fond la performance sexuelle dans une relation illégale, derrière toute l’excitation que produit la transgression, la protège de cette peur de se rendre vulnérable. La peur « d’être connue » comme le dit si pudiquement la Bible. Et ce serait bien compréhensible. A moins d’avoir fait l’expérience au plus profond de son être de l’acceptation radicale de soi-même, il est difficile de pleinement tolérer d’être « connu.e ». Ainsi elle chercherait à dépasser sa peur et à faire l’expérience d’être aimée juste comme elle est, sans avoir à plaire ou à performer de certaines manières calculées pour gagner l’amour ou l’approbation d’une personne importante à ses yeux. Cette femme adultère nous montre en réalité sa volonté d’entrer dans un état d’être avec une autre personne qui demande un courage rare.
De ce point de vue, cette « femme adultère » est un modèle pour chacun.e d’entre nous car nous sommes toustes concerné.e.s d’une manière ou d’une autre par ce défi de s’aimer soi-même inconditionnellement. Il serait dommage que le lourd poids de culpabilité dont est chargé ce mot « d’adultère », qui n’apparaît d’ailleurs pas dans le texte, nous fasse rater l’exemple que cette femme désignée de manière si péjorative peut être pour nous. Il y a un véritable renversement réalisé par Jésus dans cette péricope ; la femme qui est dite adultère se révèle être une femme fidèle, fidèle à elle-même. Elle avance vers le meilleur de ce que la vie peut lui offrir et montre qu’elle veut recevoir ce cadeau au lieu de se regarder, étrangère à soi-même, subir sa vie en priant pour qu’elle s’améliore.
Au fond, le problème est que la solution qu’elle a trouvée pour prendre soin de son besoin la met en danger de mort dans sa société. Si la racine du verbe « pécher » en hébreu signifie « rater sa cible », alors on peut comprendre que Jésus invite cette femme non pas, de manière grossière, à cesser de coucher avec d’autres personnes, mais de ne pas rater sa cible dans la réponse à son besoin. Finalement Jésus en lui disant “va ne pèche plus » ne lui donne pas un conseil moral mais un encouragement à poursuivre : va, ose dire non, si la relation avec ton mari ne te convient plus, respecte ton intégrité et la vie en toi qui te veut pleinement vivante. Va ne pêche plus ça veut dire « prend la responsabilité de ta vie, elle t’appartient ».
J’aime particulièrement ce détail du texte « ils s’en allaient un à un, en commençant par les plus âgés » : ce n’est donc pas la personne qui est en cause ni sa qualité morale intrinsèque. On mesure que c’est plutôt le temps qui passe qui laisse toujours plus d’occasions de faire des erreurs, de « rater sa cible ». Ces hommes sont devenus des experts à voir dans les autres leurs propres fragilités et ratages incarnés. Finalement, ce n’est pas la femme qui est libérée ou plutôt ce n’est pas cette femme dite adultère qui a besoin d’être libérée, ce sont ces hommes si avides d’une justice punitives, en actes ou en mots, qui sont libérés par la parole de Jésus.
C’est le même verbe qui est employé dans la scène de lapidation du Livre des Juges (Jg 20, 12-17) où on retrouve ce lien entre le péché et le jet de pierre. Pour défendre leur tribu, les fils de Benjamin peuvent « lancer une pierre sur un cheveux sans le manquer ». Dans l’évangile d’aujourd’hui, les hommes qui se pensaient justes s’avèrent être ceux qui ont raté leur cible et repartent tout penauds.
Je retiens donc une chose principale de cette femme que Jésus encourage à être fidèle à elle-même :
C’est d’avoir le courage de prendre la responsabilité personnelle de nos propres besoins quoique puisse en dire les langues bavardes des « braves gens bien avisés » dirait Brassens. Cela signifie simplement de discerner pour nous-mêmes ce qui est bon ou non pour notre croissance.
La responsabilité de nos propres besoins est une clé pour faire croître l’amour en soi. Et même pour faire l’expérience personnelle, dans un lieu très privé en soi, de l’amour inconditionnel de Dieu. On peut commencer à y veiller pendant ce carême ; un des piliers du carême étant l’aumône, on pourrait débuter chaque journée de la semaine prochaine en décidant d’une aumône pour soi-même. Ce peut être un bouquet de fleurs ou juste une fleur, une ballade en solitaire à la nuit tombée, un café en terrasse au soleil, une séance de sport, la lecture d’un poème dans le silence du matin, prendre ce temps de prière ou de méditation sans cesse remis au lendemain, aller au théâtre ou au cinéma, contempler ses enfants jouer ou parler tout seul, etc… et se délecter d’observer combien, au fil des jours, chacune de ces attentions étoffe, renforce, le lien à cet espace très privé en soi d’amour infini. On peut même aller plus loin : quelle serait cette aumône à me donner sur le plan de mon intimité physique ? est-ce que c’est se donner du plaisir solitaire, ou quelque chose à déposer à mon conjoint dans ce qui me convient pas dans nos pratiques sexuelles ? ou est-ce que c’est de lever un jugement sur l’une ou l’autre de mes pratiques actuelles ? Je ne doute pas que cette proposition soit déstabilisante. En dépit des apparences, rien de cela n’est facile. Le démon ou des réflexes auto-saboteurs peuvent nous inspirer cette pensée « pfff quelle honte, l’Évangile n’est pas un guide de bien-être ! ». C’est probablement le signe qu’il est urgent de s’engager sur cette voie-là, au moins d’essayer. Osons emprunter des chemins inconnus, peut-être « honteux » ou « ridicules » comme le souffle le diviseur. « Ne songeons plus aux choses d’autrefois » comme le conseil Isaïe, et selon les mots du psalmiste laissons-nous « en grande fête » pour que le Seigneur fasse toute chose nouvelle. ↓
Anne Guillard

Anne est membre du groupe OhMyGoddess. Elle est docteure en sciences politiques et en théologie chrétienne. On la dit volontiers « bon public » tant elle rit pour un rien. Elle aime s’aventurer dans des contrées étrangères, géographiques comme intellectuelles, et se réjouir des retrouvailles.