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Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S3 Episode 14
20/02/2022 – 7e dimanche du temps ordinaire
Lecture de l’évangile : Eloïse
Textes du jour
1 Sa 26, 2.7-9.12-13.22-23
Ps 102
1 Co 15, 45-49
Lc 6, 27-38
(Lire les textes sur aelf.org)
Le texte de l’homélie
Aimez vos ennemis.
OK. Là, je me revois en manif’, en train de crier « Et tout le monde déteste la police ! ». Est-ce que ce militantisme que j’endosse de temps en temps, comme une veste qui tient chaud mais qui gratte un peu, c’est incompatible avec Jésus ? Jésus, c’est donc le premier formateur à la communication non violente. Quand j’ai eu une initiation à cette discipline, j’ai rapidement compris le principe. Mais on te dit à la fin : tout ça ne marche que si tu respectes l’autre, même si tu ne respectes pas ses idées. Heu… C’est possible ça ?
En vrai, je vois très bien, car je m’entraîne dans les repas de familles. J’ai la chance d’avoir un beau père qui a du mal à aimer les autres. Alors avec lui, je passe mon temps à l’inviter à suspendre son jugement, à lui dire que moi, je peux essayer de comprendre les choix incohérents de son fils ou les impatiences de sa belle-mère. Vous me croirez si vous voulez, mais j’ai appris que dans mon dos, il m’appelait Jésus. Ça, j’en suis assez fier.
Parce que oui, je crois vraiment à cette idée – qui n’est pas très originale – que dans une relation horizontale, dans une relation d’égal.e à égal.e, le rapport de force, c’est vraiment quelque chose dont il faudrait se passer. Ça c’est assez clair, mais il reste quelque chose de non pensé. Qu’est-ce qu’on fait des rapports qui ne sont pas horizontaux ? Et il y en a quand même pas mal des rapports qui ne sont pas évidemment horizontaux. Ma réponse sera différente selon là où je me trouve dans la verticale. Je n’ai pas trop de mal à aimer mon ennemi, quand mon ennemi est pauvre par exemple. Ça me trouble parfois, d’ailleurs, cette facilité que j’ai. Ça m’est arrivé de penser assez sincèrement après m’être fait voler mon porte-feuille que finalement, c’était une juste répartition des richesses qui était à l’œuvre. Je vois en quoi je suis l’ennemi de mon ennemi et que je n’ai que ce que je mérite. C’est mon destin de bourgeois qui n’a pas complètement effacé l’idée que la lutte des classes était inévitable et même souhaitable.
Je n’ai pas la même capacité d’amour par contre, quand mon ennemi est puissant. Quand mon ennemi est la police, pour revenir à elle. Mon ennemi a une arme mais surtout a l’appui d’une machine administrative, d’un système. Sa parole vaudra toujours plus que la mienne dans un tribunal et surtout beaucoup plus que celle de mon pickpocket. C’est extrêmement dur d’aimer cet ennemi.
Pour mon métier, j’ai assisté à des réunions avec des flics assez hauts placés dans la hiérarchie. Je me suis posé pas mal de questions avec une fonctionnaire du ministère de l’intérieur, responsable du service étranger d’une préfecture. Elle avait à peu près mon âge. J’ai essayé de l’humaniser en l’imaginant boire des bières avec ses potes, se pointer au même cours de danse que moi. Cette idée m’a obsédée. Cette jeune femme, que j’aurais sans doute pu croiser en soirée, avait le pouvoir de donner des cartes de séjour et de mettre à exécution une expulsion. Et elle a choisi d’utiliser son deuxième pouvoir bien plus que le premier. Cette personne vient sans doute d’une famille qui a un peu d’argent de côté. Elle a sans doute fait des études brillantes pour arriver là. Et elle a choisi cette voix-là. Il y avait tant d’autres métiers possibles. Je ne lui demande pas d’être Mère Térésa. La savoir inutile me suffirait. Ce choix, je n’arrive pas à l’aimer. Et je n’arrive pas à aimer la personne qui l’a fait.
C’est pas très chrétien, ça… Je ne suis pas un grand lecteur de la Bible mais je sais qu’elle regorge d’injonction au respect des autorités supérieures. Alors je préfère garder l’image d’un Jésus désobéissant quand cette autorité n’a pas de sens. Parce que c’est là aussi. Alors, oui, je suis Jésus quand je cherche dans les rapports aux autres une horizontalité, la possibilité d’un échange et pourquoi pas d’un amour. Je suis Jésus quand je me fais dépouiller sereinement, pas par naïf angélisme mais par conviction politique. Et je suis Jésus aussi quand je n’accepte pas l’autorité illégitime. Quand je refuse d’aimer celui qui profite de son pouvoir pour opprimer.↓
David
