#
Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S3 Episode 6
26/12/2021 – La Sainte Famille
Lecture de l’évangile : Eloïse
Textes du jour
1 S, 20-28
Ps 83
1 Jn 3, 1-2.21-24
Lc 2, 41-52
(Lire les textes sur aelf.org)
Le texte de l’homélie
Enfant, je me suis perdue dans un supermarché et c’est mon père qui m’a retrouvée, grâce à l’odeur vanille de ma poupée.
Ce dimanche, Marie et Joseph ont perdu leur jeune adolescent – Jésus – en rentrant du pèlerinage pascal annuel à Jérusalem. Celui-ci est retrouvé 3 jours plus tard au Temple, qu’il n’avait pas quitté : tout est bien qui finit bien et on peut s’imaginer que l’histoire sera racontée comme une anecdote drôle au fil des années et des rassemblements familiaux. Cela pourrait n’être qu’un petit drame familial et quotidien.
Mais déjà, nous percevons ici la personne particulière qu’est Jésus et ce que peut avoir de singulier cette Sainte famille.
Il y a d’abord la relation entre deux parents et leur enfant.
En partant de Jérusalem, Marie et Joseph semblent confiants que leur fils les précède dans le « convoi des pèlerins », si bien que ce n’est qu’à la fin d’une journée de marche qu’ils se rendent compte de son absence.
On peut imaginer la panique qui s’ensuit, pendant les 3 jours que dureront les recherches. Lors des retrouvailles, Marie – presque culpabilisante – exprime bien l’épreuve que cela a représenté pour Joseph et elle : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Jésus répond : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Cette désinvolture et cette explication ont de quoi surprendre – elles auraient énervé plus d’un parent ! – et pourtant, la parole de Jésus n’est pas remise en cause par Marie. Elle l’accueille même, puisqu’il est dit qu’elle « garde en son cœur tous ces événements ».
Marie croit Jésus. Et par son silence, Joseph semble nous dire que lui aussi.
J’imagine Jésus, encore enfant et déjà adolescent, au milieu des « docteurs de la Loi », qui « s’extasient sur son intelligence et sur ses réponses ». Je le vois cru par ses parents. Et je me dis que nous devons être ces adultes-là pour nos enfants.
Je repense à cette information qui m’avait glacée – une parmi tant d’autres – à la lecture des travaux de la commission Sauvé : une « proportion […] importante » (1) « des personnes déclarant avoir subi des faits de violences sexuelles par un clerc en avaient parlé à un tiers » (2). Autrement dit, le silence n’était pas « massif » (1), c’est nous qui n’avons pas su, voulu ou pu écouter.
Je me dis que nous devons écouter et croire nos enfants comme Marie et Joseph ont cru Jésus – avec la même confiance, avec le même respect, avec le même amour inconditionnel.
Une autre chose me frappe dans cet évangile, c’est le silence de Joseph. On le sait présent car il est bien question des « parents » de Jésus mais il n’est pas mentionné une seule fois directement. Et surtout, il ne prend pas la parole – c’est Marie qui s’exprime pour eux deux.
Cette réflexion me trottait dans la tête depuis le début de l’Avent mais ce sont les mots de l’autrice afro-américaine Cole Arthur Riley qui ont confirmé mon intuition. Elle remarque : « Je me réjouis tellement du silence des hommes dans l’histoire de Noël. Zacharie ne peut pas parler. Joseph ne parle pas. Alors que les mots et les émotions de Marie et d’Elisabeth prennent la place qui leur revient. Le son de l’Avent, c’est la voix des femmes. » (3)
Joseph ne parle pas. Marie nous dit que, comme elle, il a « souffert » de devoir chercher Jésus mais, dans le silence qui suit, nous pouvons imaginer que, pas plus qu’elle, il ne doute des explications de Jésus, ne le réprimande ni le punit.
Il faut se confronter aux chiffres pour mesurer le caractère exceptionnel du silence de Joseph dans la Bible. Lindsay Hardin Freeman, une pasteure épiscopalienne américaine, a compté les mots prononcés par des femmes dans la Bible. Ses découvertes se résument ainsi : sur les 93 femmes qui parlent dans la Bible, seules 49 d’entre elles ont un nom ; ensemble, elles prononcent environ 14 000 mots, soit seulement 1,2% des mots écrits dans la Bible (4). Marie ne prononce en tout que 191 mots, largement derrière la plus loquace des femmes – Judith – qui cumule 2 689 mots.
Dans l’évangile qui nous concerne, Joseph ne parle pas. Est-il timide ? lâche ? voire pire, sur l’échelle fantasmée des masculinités, est-ce que Joseph est dominé ? Je préfère me rappeler que, depuis le début, Joseph a confiance en Dieu.e et dans la femme qu’il a choisi pour épouse. Je préfère penser que, dans leur couple, Marie a toute la place de s’exprimer. Notez que je n’ai pas dit : « Joseph laisse à Marie la place de s’exprimer ». En égalité, il n’y a pas de place à laisser, chacun et chacune habite la sienne, celle qui lui est due par sa simple existence. Marie a toute la place de s’exprimer. Joseph a toute la place de choisir le silence.
La parole de Jésus, celle de Marie. Le silence de Joseph. Et ma parole, à moi ?
J’y pense beaucoup, ces dernières semaines.
Je suis journaliste, j’ai des facilités pour rédiger et m’exprimer, et en même temps, cela me coûte beaucoup. J’écris lentement, inquiète du poids de chaque mot. Il en va de mes propres nœuds intimes mais je dois bien accepter que je suis aussi l’héritière de siècles de silenciation des femmes.
Plus collectivement, porter une parole féministe, inclusive dans nos Églises, c’est encore aujourd’hui rencontrer très rapidement des « mais », des « pourquoi » et souvent des « non ». Des doutes, des remises en cause, des refus et de la colère.
Alors, en ce dimanche de la Sainte famille, j’aimerais que toutes les victimes, les femmes et les personnes minorisées parlent de la même voix claire que Marie, confiantes dans l’amour infini que Dieu.e a pour chacune d’entre elles.
Pour leur rendre cet espace, j’aimerais que ceux qui ont aujourd’hui le monopole des paroles – celle de nos quotidiens mais aussi celle de nos liturgies – se laissent aller au même silence que Zacharie et Joseph. J’y invite les hommes qui nous entourent et ceux qui nous surplombent – dans nos amitiés, nos amours, nos familles, notre travail et nos églises.
Enfin, tous et toutes ensemble, il me semble que nous pouvons apprendre de cette Sainte famille, elle qui déjoue sans cesse les normes sclérosées et nous ramène toujours au ferment révolutionnaire de l’amour. Nous pouvons travailler pour que chacune et chacun, enfant ou adulte, soi-même et les autres, trouvions l’espace pour réaliser tout ce que Dieu.e voit de potentiel infini en nous. L’auteur Edouard Louis parle de l’amour comme « d’un espace de suspension des rapports de pouvoir » (5) Ai-je tort d’imaginer que c’est ce à quoi nous invite la Sainte famille, dans le repli des contraintes sociales qui étaient les leurs ? Il me semble en tout cas que c’est comme que cela que j’aspire à aimer aujourd’hui – en laissant l’autre être complètement, totalement ce qu’il, elle ou ielle peut, veut, doit être. C’est aussi comme cela que j’ai le droit de vouloir être aimée et – plus dur encore – de m’aimer.
Il me semble surtout que c’est comme cela que Dieu.e m’aime, nous aime.
——————————
(1) Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020), Inserm, 2021, p. 117. Le rapport de l’Inserm a nourri les travaux de la CIASE par son enquête de victimation en population générale. Nous y apprenons que « 42,2% des personnes déclarant avoir subi des faits de violences sexuelles par un clerc en avaient parlé à un tiers ». Autrement dit, sur les plus de 244 000 personnes victimes d’agressions sexuelles commises par des clercs entre 1950 et 2020, dont plus de 8 sur 10 étaient mineur.es au moment des faits (Rapport de la CIASE, §0066), près de 103 000 avaient déjà parlé.
(2) Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020), Inserm, 2021, p. 122.
(3) @blackliturgies, 13/12/2021. Je vous recommande vivement ce compte Instagram, dont les prières sont puissantes et libératrices.
(4) Minnesota church women count words in Bible spoken by women, Star Tribune, 02/02/2015 ; Women: Just 1% of the Bible, RNS, 25/11/2014.
(5) Citation lue dans La Déferlante, numéro 4 – décembre 2021, p. 114. La Déferlante est une formidable revue indépendante consacrée aux féminismes et au genre, par ailleurs créée et dirigée par des femmes. La lecture du dossier « S’aimer » de son dernier numéro a accompagné l’écriture de cette homélie.
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Ce dimanche, Marie et Joseph ont perdu leur jeune adolescent – Jésus – en rentrant du pèlerinage pascal annuel à Jérusalem. Celui-ci est retrouvé 3 jours plus tard au Temple, qu’il n’avait pas quitté : tout est bien qui finit bien et on peut s’imaginer que l’histoire sera racontée comme une anecdote drôle au fil des années et des rassemblements familiaux. Cela pourrait n’être qu’un petit drame familial et quotidien.
Mais déjà, nous percevons ici la personne particulière qu’est Jésus et ce que peut avoir de singulier cette Sainte famille.
Il y a d’abord la relation entre deux parents et leur enfant.
En partant de Jérusalem, Marie et Joseph semblent confiants que leur fils les précède dans le « convoi des pèlerins », si bien que ce n’est qu’à la fin d’une journée de marche qu’ils se rendent compte de son absence.
On peut imaginer la panique qui s’ensuit, pendant les 3 jours que dureront les recherches. Lors des retrouvailles, Marie – presque culpabilisante – exprime bien l’épreuve que cela a représenté pour Joseph et elle : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant ! »
Jésus répond : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Cette désinvolture et cette explication ont de quoi surprendre – elles auraient énervé plus d’un parent ! – et pourtant, la parole de Jésus n’est pas remise en cause par Marie. Elle l’accueille même, puisqu’il est dit qu’elle « garde en son cœur tous ces événements ».
Marie croit Jésus. Et par son silence, Joseph semble nous dire que lui aussi.
J’imagine Jésus, encore enfant et déjà adolescent, au milieu des « docteurs de la Loi », qui « s’extasient sur son intelligence et sur ses réponses ». Je le vois cru par ses parents. Et je me dis que nous devons être ces adultes-là pour nos enfants.
Je repense à cette information qui m’avait glacée – une parmi tant d’autres – à la lecture des travaux de la commission Sauvé : une « proportion […] importante » (1) « des personnes déclarant avoir subi des faits de violences sexuelles par un clerc en avaient parlé à un tiers » (2). Autrement dit, le silence n’était pas « massif » (1), c’est nous qui n’avons pas su, voulu ou pu écouter.
Je me dis que nous devons écouter et croire nos enfants comme Marie et Joseph ont cru Jésus – avec la même confiance, avec le même respect, avec le même amour inconditionnel.
Une autre chose me frappe dans cet évangile, c’est le silence de Joseph. On le sait présent car il est bien question des « parents » de Jésus mais il n’est pas mentionné une seule fois directement. Et surtout, il ne prend pas la parole – c’est Marie qui s’exprime pour eux deux.
Cette réflexion me trottait dans la tête depuis le début de l’Avent mais ce sont les mots de l’autrice afro-américaine Cole Arthur Riley qui ont confirmé mon intuition. Elle remarque : « Je me réjouis tellement du silence des hommes dans l’histoire de Noël. Zacharie ne peut pas parler. Joseph ne parle pas. Alors que les mots et les émotions de Marie et d’Elisabeth prennent la place qui leur revient. Le son de l’Avent, c’est la voix des femmes. » (3)
Joseph ne parle pas. Marie nous dit que, comme elle, il a « souffert » de devoir chercher Jésus mais, dans le silence qui suit, nous pouvons imaginer que, pas plus qu’elle, il ne doute des explications de Jésus, ne le réprimande ni le punit.
Il faut se confronter aux chiffres pour mesurer le caractère exceptionnel du silence de Joseph dans la Bible. Lindsay Hardin Freeman, une pasteure épiscopalienne américaine, a compté les mots prononcés par des femmes dans la Bible. Ses découvertes se résument ainsi : sur les 93 femmes qui parlent dans la Bible, seules 49 d’entre elles ont un nom ; ensemble, elles prononcent environ 14 000 mots, soit seulement 1,2% des mots écrits dans la Bible (4). Marie ne prononce en tout que 191 mots, largement derrière la plus loquace des femmes – Judith – qui cumule 2 689 mots.
Dans l’évangile qui nous concerne, Joseph ne parle pas. Est-il timide ? lâche ? voire pire, sur l’échelle fantasmée des masculinités, est-ce que Joseph est dominé ? Je préfère me rappeler que, depuis le début, Joseph a confiance en Dieu.e et dans la femme qu’il a choisi pour épouse. Je préfère penser que, dans leur couple, Marie a toute la place de s’exprimer. Notez que je n’ai pas dit : « Joseph laisse à Marie la place de s’exprimer ». En égalité, il n’y a pas de place à laisser, chacun et chacune habite la sienne, celle qui lui est due par sa simple existence. Marie a toute la place de s’exprimer. Joseph a toute la place de choisir le silence.
La parole de Jésus, celle de Marie. Le silence de Joseph. Et ma parole, à moi ?
J’y pense beaucoup, ces dernières semaines.
Je suis journaliste, j’ai des facilités pour rédiger et m’exprimer, et en même temps, cela me coûte beaucoup. J’écris lentement, inquiète du poids de chaque mot. Il en va de mes propres nœuds intimes mais je dois bien accepter que je suis aussi l’héritière de siècles de silenciation des femmes.
Plus collectivement, porter une parole féministe, inclusive dans nos Églises, c’est encore aujourd’hui rencontrer très rapidement des « mais », des « pourquoi » et souvent des « non ». Des doutes, des remises en cause, des refus et de la colère.
Alors, en ce dimanche de la Sainte famille, j’aimerais que toutes les victimes, les femmes et les personnes minorisées parlent de la même voix claire que Marie, confiantes dans l’amour infini que Dieu.e a pour chacune d’entre elles.
Pour leur rendre cet espace, j’aimerais que ceux qui ont aujourd’hui le monopole des paroles – celle de nos quotidiens mais aussi celle de nos liturgies – se laissent aller au même silence que Zacharie et Joseph. J’y invite les hommes qui nous entourent et ceux qui nous surplombent – dans nos amitiés, nos amours, nos familles, notre travail et nos églises.
Enfin, tous et toutes ensemble, il me semble que nous pouvons apprendre de cette Sainte famille, elle qui déjoue sans cesse les normes sclérosées et nous ramène toujours au ferment révolutionnaire de l’amour. Nous pouvons travailler pour que chacune et chacun, enfant ou adulte, soi-même et les autres, trouvions l’espace pour réaliser tout ce que Dieu.e voit de potentiel infini en nous. L’auteur Edouard Louis parle de l’amour comme « d’un espace de suspension des rapports de pouvoir » (5) Ai-je tort d’imaginer que c’est ce à quoi nous invite la Sainte famille, dans le repli des contraintes sociales qui étaient les leurs ? Il me semble en tout cas que c’est comme que cela que j’aspire à aimer aujourd’hui – en laissant l’autre être complètement, totalement ce qu’il, elle ou ielle peut, veut, doit être. C’est aussi comme cela que j’ai le droit de vouloir être aimée et – plus dur encore – de m’aimer.
Il me semble surtout que c’est comme cela que Dieu.e m’aime, nous aime.
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(1) Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020), Inserm, 2021, p. 117. Le rapport de l’Inserm a nourri les travaux de la CIASE par son enquête de victimation en population générale. Nous y apprenons que « 42,2% des personnes déclarant avoir subi des faits de violences sexuelles par un clerc en avaient parlé à un tiers ». Autrement dit, sur les plus de 244 000 personnes victimes d’agressions sexuelles commises par des clercs entre 1950 et 2020, dont plus de 8 sur 10 étaient mineur.es au moment des faits (Rapport de la CIASE, §0066), près de 103 000 avaient déjà parlé.
(2) Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020), Inserm, 2021, p. 122.
(3) @blackliturgies, 13/12/2021. Je vous recommande vivement ce compte Instagram, dont les prières sont puissantes et libératrices.
(4) Minnesota church women count words in Bible spoken by women, Star Tribune, 02/02/2015 ; Women: Just 1% of the Bible, RNS, 25/11/2014.
(5) Citation lue dans La Déferlante, numéro 4 – décembre 2021, p. 114. La Déferlante est une formidable revue indépendante consacrée aux féminismes et au genre, par ailleurs créée et dirigée par des femmes. La lecture du dossier « S’aimer » de son dernier numéro a accompagné l’écriture de cette homélie.
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Alix Bayle

Alix Bayle est journaliste-réalisatrice. Entrée en féminisme à la suite de sa deuxième maternité, elle a cofondé le PA.F, collectif pour une PArentalité Féministe, en 2018. En 2020, à la suite de la candidature d’Anne Soupa à l’archêveché de Lyon, elle participe à la création du collectif « Toutes Apôtres ! », qui milite pour l’égalité de tou·tes les baptisé·es dans l’Église catholique.