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Bonne
Nouv.elle
!
— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.
S2 Episode 14
17/02/21
Mercredi des cendres
Lecture de l’évangile : Marina
Textes du jour
Le texte de l’homélie
Ah, le Carême… j’adore ça depuis que je suis gamin. Choisir un ou deux trucs comme le chocolat, le café ou la clope, et vivre cet agréable petit manque qui me rappelle qu’il existe des joies plus profondes… Je crois que, gamin déjà, je sentais que se convertir, chercher à changer même de petites choses qui limitent notre liberté, ça n’est pas d’abord un devoir pénible, mais un bien qu’on se fait à soi-même. « Ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. » Et pourtant, dans mes bonnes résolutions d’enfant sage, il y avait aussi une envie de briller, un peu « hypocrite », comme dit Jésus… C’est bien de bons croyants, des gens qui prient à la synagogue comme lui, que Jésus traite ici d’hypocrites. Il n’aurait pas besoin de chercher bien loin dans nos paroisses pour trouver encore de bons cathos pieusement agenouillés en public, mais qui ignorent la prière personnelle et solitaire et tirent à boulets rouges sur la pleine conscience et les spiritualités orientales, alors que celles-ci se rapprochent bien plus de « la pièce la plus retirée » dont Jésus parle, où quelque chose de Dieu s’exprime dans le secret. Je connais tellement de gens, de jeunes femmes notamment, écœurées par des messes où on entend surtout des hommes qui souvent vous engueulent ou appellent à une pratique religieuse extérieure plus qu’à un engagement citoyen. Elles et ils se sont « éloigné.e.s de l’Eglise » comme on a l’habitude de dire poliment, mais je les vois se mettre avec exigence à l’écoute de la Parole de Dieu « dans le secret », en potassant leur Bible dans le métro, et je les écoute pour ma plus grande édification sur des podcasts féministes qui cherchent à aller au fond des choses.
C’est toujours par amour, j’en suis certain, que Jésus vient nous taquiner, nous qui laissons bravement tomber l’alcool pendant un mois, mais qui enrichissons les multinationales pour acheter plus à moindre coût, et qui faisons rouler des réfugiés sur de mauvais vélo pour nous apporter nos repas Deliveroo après les couvre-feux. Par contre je connais tellement de gens buveurs, fumeurs et qui ne vont même pas à l’église, mais qui renoncent aux ananas et aux bananes venu.e.s par avion ou qui limitent leur fringale de vidéos et de réseaux sociaux, sachant qu’internet est une cause de pollution majeure aujourd’hui. On ne fait pas beaucoup sonner les trompettes dans nos églises, pour ces ascètes-là, aujourd’hui.
Bienheureuses celles et ceux qui prient ou qui jeûnent sans savoir que ça s’appelle comme ça… Et l’aumône ? Bien des institutions, chrétiennes aussi, expriment leur reconnaissance pour leurs « généreux donateurs », sans trop se demander sur quel genre de commerce, au détriment de quel.le.s travailleur.e.s ils ont gagné cet argent. Mais je pense aussi à l’école où je travaille ; une école pour des adolescents en décrochage scolaire, auxquels on a toujours renvoyé l’image de sales gamins perdus pour la société. Une école catho, soit dit en passant, qui leur donne à tou.te.s, musulmans, chrétiens, ou « non » croyant.e.s, l’espoir de trouver ce qu’ils et elles aiment vraiment, et le regard d’adultes qui leur font enfin confiance. J’y vois des profs, des éducatrices-teurs, qui ne vont pas non plus à la messe de l’école, et qui peut-être pestent parfois contre les clochards du métro, mais qui ont choisi de vivre toute l’année avec les pauvres très concrets, souvent les plus oubliés, que sont les jeunes perdants de la compétition économique des entreprises, qui commence très tôt dans les écoles.
Evidemment, si par respect de l’institution on peut d’une part oublier le devoir de la critiquer pour l’aider à grandir, on risque parfois aussi d’autre part, par lassitude devant ses lourdeurs ou ses injustices, de jeter le bébé avec l’eau du bénitier… On pourrait ne pas se rendre compte que notre désir de prière, de jeûne ou d’aumône authentiques peut aussi nous conforter dans l’héroïsme de faire différemment que les hypocrites que nous critiquions l’instant d’avant.
Les nobles efforts écologiques que je fais, je peux aussi avoir tendance à les afficher aux yeux des méchants consuméristes que j’aimerais bien faire culpabiliser un peu. Peut-être que pour moi, ce carême serait l’occasion de redécouvrir que le repas de carême par excellence, l’eucharistie, c’est aussi une manière rêvée de se retrouver à la même table, jeunes et vieux, conservateurs ou progressistes de tous bords ; d’avoir un vrai dialogue plutôt que de se critiquer de loin…
On pourrait oublier que prier, c’est prendre le risque de se laisser interpeler par une parole souvent étrangère voire irritante peut-être, mais qui nous transforme. Dieu peut alors s’y découvrir, pas comme un vilain patriarche barbu ou un concept désuet, mais comme l’altérité qui nous déplace… pour peu qu’on se donne la peine d’écouter à nouveau, sans savoir mieux que les autres ce qui est bien… Et si pour ce Carême on ne laissait pas aux seuls prêtres le privilège de nous appeler à la prière, mais qu’on la retrouvait par nous-mêmes ?… de manière créative, en se laissant surprendre, que ce soit par le texte le plus ésotérique, ou par la liturgie catholique ?
Aimer même cette Eglise si souvent décevante et lui donner encore la chance de nous surprendre ne devrait pas être une concession ou un retour au sérail, mais au contraire une manière d’aider les paroissien-ne-s les plus inquiètes du prétendu recul de la foi, à voir que celle-ci fleurit ailleurs, dans tellement de pièces retirées, de mains gauches ignorées des mains droites, sous la tête parfumée de tellement d’ascètes anonymes…
Il y a toujours une autre Eglise à découvrir, hors des murs des paroisses ; il y a toujours une parole vivante, des exemples réformateurs à découvrir, au cœur même de l’institution qui a porté mère Teresa, l’abbé Pierre, et un sommet de contradiction comme Jean Vanier – modèle de manipulation, autant que d’amour des plus faibles…
Aimons l’Eglise, réformons l’Eglise.
Laquelle ? Celle qui nous réunit tou.te.s, et tant d’autres qu’on ne soupçonnait pas…
Bon Carême !… avec ou sans chocolat…
↓
C’est toujours par amour, j’en suis certain, que Jésus vient nous taquiner, nous qui laissons bravement tomber l’alcool pendant un mois, mais qui enrichissons les multinationales pour acheter plus à moindre coût, et qui faisons rouler des réfugiés sur de mauvais vélo pour nous apporter nos repas Deliveroo après les couvre-feux. Par contre je connais tellement de gens buveurs, fumeurs et qui ne vont même pas à l’église, mais qui renoncent aux ananas et aux bananes venu.e.s par avion ou qui limitent leur fringale de vidéos et de réseaux sociaux, sachant qu’internet est une cause de pollution majeure aujourd’hui. On ne fait pas beaucoup sonner les trompettes dans nos églises, pour ces ascètes-là, aujourd’hui.
Bienheureuses celles et ceux qui prient ou qui jeûnent sans savoir que ça s’appelle comme ça… Et l’aumône ? Bien des institutions, chrétiennes aussi, expriment leur reconnaissance pour leurs « généreux donateurs », sans trop se demander sur quel genre de commerce, au détriment de quel.le.s travailleur.e.s ils ont gagné cet argent. Mais je pense aussi à l’école où je travaille ; une école pour des adolescents en décrochage scolaire, auxquels on a toujours renvoyé l’image de sales gamins perdus pour la société. Une école catho, soit dit en passant, qui leur donne à tou.te.s, musulmans, chrétiens, ou « non » croyant.e.s, l’espoir de trouver ce qu’ils et elles aiment vraiment, et le regard d’adultes qui leur font enfin confiance. J’y vois des profs, des éducatrices-teurs, qui ne vont pas non plus à la messe de l’école, et qui peut-être pestent parfois contre les clochards du métro, mais qui ont choisi de vivre toute l’année avec les pauvres très concrets, souvent les plus oubliés, que sont les jeunes perdants de la compétition économique des entreprises, qui commence très tôt dans les écoles.
Evidemment, si par respect de l’institution on peut d’une part oublier le devoir de la critiquer pour l’aider à grandir, on risque parfois aussi d’autre part, par lassitude devant ses lourdeurs ou ses injustices, de jeter le bébé avec l’eau du bénitier… On pourrait ne pas se rendre compte que notre désir de prière, de jeûne ou d’aumône authentiques peut aussi nous conforter dans l’héroïsme de faire différemment que les hypocrites que nous critiquions l’instant d’avant.
Les nobles efforts écologiques que je fais, je peux aussi avoir tendance à les afficher aux yeux des méchants consuméristes que j’aimerais bien faire culpabiliser un peu. Peut-être que pour moi, ce carême serait l’occasion de redécouvrir que le repas de carême par excellence, l’eucharistie, c’est aussi une manière rêvée de se retrouver à la même table, jeunes et vieux, conservateurs ou progressistes de tous bords ; d’avoir un vrai dialogue plutôt que de se critiquer de loin…
On pourrait oublier que prier, c’est prendre le risque de se laisser interpeler par une parole souvent étrangère voire irritante peut-être, mais qui nous transforme. Dieu peut alors s’y découvrir, pas comme un vilain patriarche barbu ou un concept désuet, mais comme l’altérité qui nous déplace… pour peu qu’on se donne la peine d’écouter à nouveau, sans savoir mieux que les autres ce qui est bien… Et si pour ce Carême on ne laissait pas aux seuls prêtres le privilège de nous appeler à la prière, mais qu’on la retrouvait par nous-mêmes ?… de manière créative, en se laissant surprendre, que ce soit par le texte le plus ésotérique, ou par la liturgie catholique ?
Aimer même cette Eglise si souvent décevante et lui donner encore la chance de nous surprendre ne devrait pas être une concession ou un retour au sérail, mais au contraire une manière d’aider les paroissien-ne-s les plus inquiètes du prétendu recul de la foi, à voir que celle-ci fleurit ailleurs, dans tellement de pièces retirées, de mains gauches ignorées des mains droites, sous la tête parfumée de tellement d’ascètes anonymes…
Il y a toujours une autre Eglise à découvrir, hors des murs des paroisses ; il y a toujours une parole vivante, des exemples réformateurs à découvrir, au cœur même de l’institution qui a porté mère Teresa, l’abbé Pierre, et un sommet de contradiction comme Jean Vanier – modèle de manipulation, autant que d’amour des plus faibles…
Aimons l’Eglise, réformons l’Eglise.
Laquelle ? Celle qui nous réunit tou.te.s, et tant d’autres qu’on ne soupçonnait pas…
Bon Carême !… avec ou sans chocolat…
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Julien Lambert
Julien Lambert est metteur en scène et théologien, ancien jésuite en formation, actuellement animateur en pastorale scolaire… clown ou peintre selon les humeurs et les saisons. Il croit en des églises et des ressources chrétiennes capables d’accompagner la société dans sa transformation écologique, dans une meilleure conscience de la dimension du genre et des injustices qui y sont liées, et un dialogue plus ouvert entre les croyant.e.s de différentes religions.