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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

S2 Episode 11

31/01/21
4e dimanche du temps ordinaire

Lecture de l’évangile : Flore

Homélie : Elodie Pinel

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Dt 18, 15-20
Ps 94
1 Co 7, 32-35
Mc 1, 21-28
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Ce passage de l’Évangile de Marc se passe juste après condamnation de Jean Baptiste. Jésus a proclamé la fin des temps proches et il a recruté des apôtres pour être des « pêcheurs d’hommes » : ce sont Simon, André, Jacques, Jean. C’est un événement situé dans le temps (c’est le jour de shabbat, donc un samedi) et dans un lieu (la ville est celle de Capharnaüm, l’endroit précis est celui d’une synagogue). Mais dès les premières lignes, plusieurs problèmes se posent. Tout d’abord, Jésus n’est pas dans sa ville : Capharnaüm se situe au bord du lac de Tibériade, dit aussi « mer de Galilée », qui est traversé par le fleuve Jourdain, où se passe la scène du recrute-ment de Simon, André, Jacques et Jean. La synagogue de Capharnaüm n’est donc pas la sienne, mais il y enseigne.
Ensuite, Jésus y enseigne comme ayant autorité, ce qui suppose que ce n’est pas la manière habituelle d’enseigner.
Par ailleurs, il y enseigne de manière nouvelle, non pas comme les scribes, soit ceux qui lisent et interprètent le texte sacré dans les écoles.
Enfin, un homme l’invective ; or il n’est pas habituel qu’un fidèle intervienne au beau milieu du culte pour interpeler un officiant.
La question générale est donc la suivante : à quel point cet épisode est-il anormal ?
Pour résoudre ces difficultés contextuelles, quelques rappels sur le culte judaïque sont nécessaires : la première chose à savoir est que des hommes venant de l’extérieur peuvent venir lire à la tribune en y étant invités ; la deuxième chose est que le rabbin conduit le culte et qu’il y a une lecture de la Torah, qui s’appelle la Parasha, par un fidèle, donc un homme, et qui est suivie d’un commentaire personnel de ce même homme. Ce commentaire est fait par un scribe ou par un docteur, en faisant référence à la tradition orale et au Talmud sur le passage en question. Si Jésus enseigne « avec autorité », c’est peut-être parce qu’il ne se réfère à rien sinon à lui-même pour commenter le texte.
Afin de mieux comprendre la pratique qu’a Jésus de ce culte, il est possible de se référer à un autre passage du Nouveau Testament. Il se trouve en Luc 4, 16-30. Dans ces versets, on retrouve le pas-sage sur l’enseignement de Jésus à Capharnaüm, mais il est précédé d’une autre intervention dans une synagogue, celle de Nazareth. Ce lieu de culte est la synagogue habituelle de Jésus, là où il a été élevé. Luc nous indique que Jésus se lève pour faire la lecture comme il a l’habitude. Il lit un passage du livre d’Isaïe sur la venue de l’Esprit du Seigneur et commente ensuite sa lecture d’une phrase « Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture » (Lc 4, 21). L’auditoire est en admiration. Mais Jésus développe alors l’idée que « nul n’est prophète en son pays » (Lc 4, 22), ce qui jette le trouble (nous verrons pourquoi plus tard).
A l’opposé de ce déroulement habituel du culte dans la synagogue de Nazareth, à Capharnaüm, rien ne se passe comme prévu : Jésus met le bazar (comme avec les marchands du Temple), d’où le sens attaché en français au « capharnaüm », à savoir le désordre, le chaos.
Ce que nous enseigne ce passage, c’est que l’autorité se revendique et que l’Église s’est construite sur les coups d’éclat de personnes non autorisées. Ce qu’il y a au cœur de ce passage, c’est la notion d’autorité et d’autorisation. On peut faire autorité sans être autorisé : ce qui est important, ce n’est pas que Jésus prenne la parole, ni qu’on l’écoute, ni qu’il commande à l’esprit impur, mais que l’esprit impur lui obéisse et que ce soit cet esprit impur qui se taise (Jésus lui dit : « Tais-toi »). De là vient l’importance de l’articulation de ces deux moments du texte : sans le passage sur ce silence obtenu, la mention de l’enseignement de Jésus n’a pas de sens. Notons toutefois que le poids de ce passage est aussi grande à l’époque de la rédaction des Évangiles : elle est une manière de diaboliser les contestataires de la parole christique, de renvoyer les tenants de la tradition judaïque au dé-mon, ce qui fait polémique.
Ce que nous enseigne également ce passage, c’est l’importance de la parole, et de la parole vivante et inspirée, dans la vie de la foi. Cet épisode de la vie du Christ fait en effet écho à deux autres moments : celui du séjour de Jésus enfant au Temple de Jérusalem, parmi les docteurs et celui de la prédication de Jean Baptiste. Le premier moment n’est pas celui d’une prise de parole de Jésus mais plutôt de son apprentissage, puisqu’il écoute et interroge les docteurs ; mais on l’y voit déjà dans une position de docteur en devenir, car ses réponses « stupéfient » ses interlocuteurs. Le deuxième moment ouvre le parcours de Jésus, à 30 ans, par le cheminement parallèle de son cousin, désigné en référence au livre d’Isaïe comme la « voix de celui qui crie dans le désert ». Jean Baptiste prêche le repentir et la conversion mais il le fait hors les murs de la synagogue, en dehors de l’institution : la prise de parole de Jésus à l’intérieur de la synagogue, au milieu du culte, après la mise à mort de son cousin, est donc à la fois une revendication et une provocation.
Ce que nous enseigne enfin ce passage, c’est la nécessité de s’engager par la prise de parole. Je lis à titre personnel dans cet épisode la mise en abime de la chance qui m’est donnée de prononcer une homélie sur ce passage. Une mise en abime est le fait de représenter ce dont on parle au moment d’en parler. En clair, ici, le récit de la prise de parole d’un prédicateur auto-proclamé vous est commenté par une prédicatrice auto-proclamée. Car même si cette parole était autorisée par le judaïsme, et l’est encore, elle ne l’est pas dans notre Église catholique d’aujourd’hui.
La différence se place dans le degré d’inspiration et le don de prophétie, qui n’est pas le mien. La prédication de Jésus est en effet aussi miraculeuse que ses guérisons. En effet, lorsque Jésus indique à Nazareth que « nul n’est prophète en son pays » et qu’il ne peut réaliser à Nazareth ce qu’il a accompli à Capharnaüm, il suscite le rejet des fidèles parce qu’il s’est passé à Capharnaüm quelque chose que les fidèles de Nazareth attendent aussi, à savoir des guérisons miraculeuses. Fâchés de ne pas pouvoir être guéris à leur tour parce que Jésus leur dit qu’ils n’en sont pas dignes, les Nazaréniens poursuivent Jésus de leurs invectives et de leur colère jusqu’à l’extérieur de la ville. Or la prédication de Jésus à Capharnaüm est elle-même miraculeuse, puisqu’elle pousse un esprit impur à quitter le corps de celui qu’il possédait.
Mais j’en retiendrai tout de même ceci, que « nul n’est prophète en son pays » et que, pour se faire entendre, pour que son autorité soit reconnue, il faut parfois aller prêcher ailleurs, différemment, là où l’écoute est possible, avant d’être entendu, cette fois « en son pays », dans sa propre synagogue – soit, pour nous, dans notre Eglise.
Ce passage de Marc est donc pour moi une exhortation à la prédication de ceux qui s’y sentent appelés. Cet appel, bien des hommes l’ont entendu au cours de l’Histoire ; bien des hommes mais aussi bien des femmes : celles que nous appelons les béguines, au Moyen Âge, ont prêché devant des universitaires et des théologiens, devant Robert de Sorbon (le fondateur de la Sorbonne) mais aussi devant saint Bonaventure lui-même, et ont été protégées par Louis IX, dit saint Louis. Marie-Madeleine était à l’époque considérée comme la première prédicatrice, et une prédicatrice itinérante, car elle aurait apporté la bonne nouvelle au cours de ses voyages. Nous ne faisons que prolonger une histoire ancienne, qui renoue avec le geste fort de ces femmes du Moyen Âge, mais qui s’enracine en réalité dans ces premières prédications de Jésus.
Élodie Pinel
Elodie Pinel est professeure agrégée de français et certifiée de philosophie ; docteure en littérature française, elle a soutenu une thèse sur Marguerite Porete et rédige actuellement un roman sur la vie de cette autrice du Moyen Âge. Les hasards de la vie l’ont menée vers la télévision (Lumni sur France tv), internet (Les Bons Profs.com), l’édition (Vrin, Le Robert) et la presse (Revue Etudes) mais toujours avec un livre à portée de main.