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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

Episode 24

11/04/20
Samedi Saint

Méditation par Emmanuelle Maupomé

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Icone de la descente aux Enfers

Le texte de la méditation

Depuis le début de cette crise sanitaire et avec le confinement en particulier, nous sommes entrés ensemble dans un drôle de temps, un autre temps.
Un temps suspendu entre le temps d’avant, qui nous semble déjà bien loin et le temps d’après dont nous ne savons pas bien quand il viendra.
Un temps d’agitation intérieure, d’inquiétude peut-être, comme une morsure, en particulier si nous sommes, nous-mêmes ou nos proches, touchés par la maladie.
C’est un temps d’attente aussi avec ses questions qui tourbillonnent : de quoi demain sera-t-il fait ? Nous relèverons nous ? Et comment ? Qui d’entre nous peut le savoir ?
Temps de l’attente, temps d’une attente qui ne sait pas bien ce qu’elle doit attendre, temps de l’attente quand l’attente se débat avec l’incertitude, avec plus ou moins de grâce et de confiance d’ailleurs…
Or, voici qu’aujourd’hui nous sommes aussi Samedi Saint. C’est-à-dire que nous sommes très précisément le jour où la prière de l’Eglise et sa Foi font place et droit à cette attente-là, à l’attente inquiète et fragile propre à tous nos grands passages…
Samedi saint : Il est passé le temps des grandes souffrances du vendredi, il n’est pas encore là le temps de la joie de Pâques. Les tabernacles sont vides dans les églises, l’Evangile n’y est pas proclamé, le Christ est mort, et son corps est au tombeau. Nous ne savons pas trop comment prier, nous ne savons d’ailleurs pas trop que faire de nous-mêmes.
A quoi sommes-nous invités alors, en ce temps du Samedi Saint ? A rien d’autre sans doute qu’à demeurer…
Demeurer avec Marie, demeurer avec les disciples épouvantés, et puis avec eux regarder ce corps qui repose au tombeau, ce corps blessé que la vie a quitté. Regarder non pas pour retenir, mais pour mieux laisser aller, pour mieux mesurer le mystère de l’amour qui est allé jusqu’au bout. Regarder… « Avez-vous vu celui que mon cœur aime ? »
Regarder Marie, regarder les disciples, les femmes au tombeau : le temps semble s’arrêter, « l’heure en trop est arrivée, le temps déborde » nous murmure le poète Eluard. L’espace semble sans horizon, il y a si peu à dire.
Samedi saint en leur vie, samedi saints en nos vies : à quoi sommes-nous invités, sinon à nous faire proches, proches d’eux, proches les uns et les unes des autres, proches de celles et ceux qui souffrent, de celles et ceux qui ont peur, qui sont seuls. Proches d’une proximité qui est d’abord respect, amitié, qui ne se prend pas pour le salut, qui accepte de faire l’expérience de l’impuissance, sans s’agiter… Une proximité qui est bien souvent communion dans le silence. Mais une proximité qui se dit en acte, qui dit un acte : l’expérience et l’espérance d’un autre temps, un autre temps où la tristesse des autres nous attristera vraiment, où la joie des autres nous réjouira vraiment… Un autre temps où la vive présence d’un Autre nous aura réellement rendu présents les uns aux autres.
Parce que le samedi saint c’est bien le jour de l’Espérance et c’est là son grand mystère. L’Espérance ce n’est pas oublier trop vite le corps meurtri et la douleur ; ce n’est pas sauter à pied joint par-dessus le temps du samedi saint ; ce n’est pas se rassurer trop vite par un chant de Résurrection facile et factice…L’Espérance, c’est tenir, tenir dans cette foi élémentaire qui ne sait rien mais qui croit, qui croit que en tous les samedis saints du monde, la vie du vivant mystérieusement est à l’œuvre : elle travaille dans la nuit, elle travaille dans les profondeurs obscures du monde, de l’histoire, d’une manière que nul ne sait, mais que nous savons pourtant de ce savoir propre à l’Espérance…
C’est ce que nous confessons ensemble d’ailleurs chaque dimanche : le Christ est mort, il a été enseveli et il est descendu aux enfers. Non pas en enfer mais aux enfers, c’est-à-dire au séjour des morts. Vous connaissez sans doute l’icône de la descente aux Enfers, par laquelle nos frères orthodoxes choisissent de représenter la Résurrection : regardons-là ensemble au long de ce jour. C’est vraiment l’icône du Samedi Saint, celle qui donne à voir, la face cachée, la face lumineuse du Samedi Saint.
Au centre de l’icône, il y a le Christ, éblouissant de lumière, dans la mandorle de gloire de Dieu. Il est tout en force et en mouvement, lui qui est pourtant en même temps le gisant immobile du tombeau. Il est comme un éclair dans le ciel qui foudroie la mort et il foule à ses pieds les portes des enfers, elles sont disposées en Croix sur un gouffre noir où se noient les clés, les clous, tous les instruments de la mort.
Il empoigne solidement Adam à sa droite, et Eve à sa gauche et il les arrache à leurs tombeaux pour les faire entrer déjà dans l’espace de sa Gloire… Il est fini le temps où Adam et Eve étaient exclus du jardin, ce sont eux que le Christ saisit en premier, avant même les justes et les rois qui sont aussi représentés sur cette icône : il est fini le temps du « trop tard », voici accompli le temps de la miséricorde où le Berger abandonne ses 99 brebis pour aller chercher celle qui s’est égarée.
Laissons nous regarder par cette icône, laissons-nous ensemble toucher par elle si vous le voulez bien.
Le Christ est présent dans le lieu de la mort nous révèle-t-elle. Et si le Christ est présent dans ce gouffre de l’impossible, c’est donc bien qu’il n’y a aucune frontière à sa présence : il n’est pas de lieu, il n’est pas de nuit, pas d’attente, pas d’épreuve où il ne puisse être présent mystérieusement, il n’est pas de temps où il ne puisse nous saisir mystérieusement pour nous faire participer à sa vie. Ni la vie ni la mort, ni la maladie, ni les menaces, ne peut nous séparer de l’amour du Christ nous dit Paul dans la lettre aux romains…
C’est cela notre espérance, c’est cela l’espérance du samedi saint, celle à laquelle nous sommes convoqués aujourd’hui précisément aux jours de deuil, de traversées, de confinement : quoi qu’il arrive, le Christ est avec nous, quoi qu’il arrive, les forces de la mort ne peuvent briser le lien vivant qui nous unit à lui, quoi qu’il arrive, nous avons en lui la source d’une création et d’un salut que rien ne pourra jamais tarir.
Dire cela c’est pouvoir accueillir aussi dans notre expérience de foi ces vers magnifiques d’Eluard que je vous partage au terme de cette méditation :
« La nuit n’est jamais complète,
Il y a toujours, puisque je le dis, puisque je l’affirme
Au bout du chagrin, une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler, faim à satisfaire
Un cœur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager » (Eluard, le Phoenix)
Emmanuelle Maupomé
Emmanuelle, médecin, religieuse auxiliatrice, responsable des sœurs de France-Belgique.