#

Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

Episode 23

10/04/20
Vendredi Saint

Lecture de l’évangile : Estelle Meyer

Homélie : Ines Calstas

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Is 52, 13 – 53, 12
Psaume 30
He 4, 14-16 ; 5, 7-9
Jn 18, 1 – 19, 42
(Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

« Il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards,
Son aspect n’avait rien pour nous plaire.
Méprisé, abandonné des hommes,
Homme de douleurs, familier de la souffrance,
Il était pareil à celui devant qui on se voile la face ».
Nous l’avons entendu dans la première lecture… mais comment ne pas faire le lien avec les personnes avec qui je travaille, avec ces personnes qui sont devenues invisibles et inaudibles, qui habitent nos rues. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants défigurés par la souffrance et par la misère, devant qui on se voile la face.
Je suis toujours impressionnée quand, en racontant mon travail auprès de la population rom qui mendie à Genève, les personnes me demandent : “Tu connais celle qui mendie devant telle COOP [magasin d’alimentation suisse] ? Ça fait 6 ans qu’elle est là” … mais rarement un nom. Les mendiants devant les magasins et les églises n’ont pas le droit à des liens sociaux comme les autres. Le mur qui les sépare du reste de la population est trop épais !
Une fois, j’ai rencontré Cristina, elle était devant la boulangerie. J’allais rentrer alors je lui ai proposé de prendre un café avec moi. « Pas de café s’il-te-plaît Inès, on m’en a déjà payé 10 ! Je veux venir au bureau avec toi ! » Elle est restée toute la matinée, elle a refusé tout ce que je lui proposais… elle voulait être là avec moi, elle me regardait travailler sans parler… après 4 heures, elle m’a dit : « Merci, j’avais besoin d’être au calme, d’être sans stress, tu sais Inès, c’est dur la rue. »
Il y a quelques semaines, nous étions en Valais, Miruna, une fille de 5 ans, était venue avec nous. Elle était ravie, elle découvrait les montagnes… A un moment elle s’arrête, elle me demande : « Inès, ici, il n’y a pas la police ?». La répression fait partie de la vie des pauvres.
A Genève, des centaines d’hommes, de femmes, et d’adolescents sont interdits d’accès à la gare, à l’aéroport, aux centres commerciaux, à certains quartiers et même à l’hôpital. Non pas parce qu’ils ont volé mais parce qu’ils sont pauvres et ne donnent pas une bonne image. Comme nous a expliqué une fois un gérant, « les pauvres ne sont pas une bonne pub, même s’ils paient leur consommation ». Un point de vue qui, selon lui, justifiait, le bannissement définitif des personnes en question.
Gustavo Gutierrez se demande « Comment parler de Dieu à partir de la souffrance de l’innocent ? Comment parler de justice ? Que nous révèle Jésus ? Lui qui a porté sa croix seul, lui qui ne s’est pas défendu, lui qui s’est comporté comme un agneau conduit à l’abattoir. Lire la Bible, dit ce théologien latino-américain, à partir de nos préoccupations les plus fortes et les plus urgentes est légitime par principe… Cette donnée est pour nous une conviction profonde : s’il est vrai que nous lisons la Bible, il est aussi vrai qu’elle-même nous lit et nous interpelle. »
Combien de fois, devant les récits de vie des personnes avec qui je travaille, je me demande : Qu’est ce qui les fait tenir debout ? Quelle est la force qui leur permet de faire encore et encore le pas suivant ? Et ce sont les mêmes questions qui me viennent aujourd’hui en lisant la Passion. J’aimerais savoir où ont puisé leur force les femmes et le disciple bien aimé pour être en bas de la croix. J’aimerais savoir pourquoi Joseph d’Arimathie est sorti à ce moment-là de son anonymat et pourquoi Nicodème s’est mobilisé. J’aimerais connaître ce qui a aidé Jésus à aller jusqu’au bout.
Dans mon travail, je me sens beaucoup de fois impuissante, j’aimerais leur dire comme le psalmiste : « Soyez forts, prenez courage ». Mais de quel droit ? Qui suis-je ? Alors je me réduis à une présence, à une écoute… bien loin de ma volonté de tout changer pour éviter autant d’injustices.
Je suis là, témoin de quelque chose qui m’échappe et qui me fait frémir. J’entends leurs prières avec leurs mots, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, « En toi, Seigneur, j’ai mon refuge ». Cette certitude est enracinée dans leurs vies. C’est elle qui leur permet de supporter les douleurs sans être écrasés. Dans la souffrance, ils sont capables d’avoir une relation avec Dieu, et cela malgré les incompréhensions et les silences.
Mon rêve serait d’écrire les témoignages d’autant de personnes qui sont réduites à leurs conditions de mendiants, de petits voleurs, de vauriens (vaut-rien) que la société a parqué en dehors des murs de la cité et qui n’ont pas toujours leur place dans nos églises.
Quand on a la chance de vivre des partages bibliques avec des personnes en précarité, la Parole de Dieu se découvre de façon nouvelle et étonnante pour tous. En relisant leurs vies à partir de ces textes, les pauvres nous font découvrir avec force l’action de Dieu.
Le père jésuite, Etienne Grieu, nous dit : « Faire un chemin avec ceux qui d’habitude ne comptent pas beaucoup ramène, en effet, à l’essentiel. Les personnes les plus démunies font faire, en quelque sorte, un pèlerinage à la source. Elles sont un guide sûr pour aider à accueillir la vie comme grâce, comme cadeau de Dieu, loin de tous nos calculs et de nos angoisses de réussite. »
La douleur est le terrain dur et exigeant pour parler de Dieu, non seulement pour chacun d’entre nous, mais aussi pour l’Eglise. C’est le chemin choisi par Dieu pour nous parler d’amour et miséricorde. Il s’ouvre comme une invitation, sans éviter les obstacles ni les transformations car la douleur et l’injustice sont là. Elles nous interpellent aujourd’hui et toujours, et font naître en nous de nouvelles incertitudes.
La présence et la parole des plus pauvres est une invitation qui nous fait dire avec l’apôtre Paul : « Avançons-nous donc avec assurance vers le Trône de la Grâce ». La certitude qu’un demain est possible. Dieu est avec nous. Tous et toutes avons une place dans son royaume.
« Entraîne-nous Seigneur à nous lancer vers l’impossible… Le futur est une énigme, notre chemin s’enfonce dans la brume ; mais nous voulons continuer, continuer à nous donner car tu es là qui attends, dans la nuit, avec mille regards humains baignés de larmes ». Prière du père Luis Espinal, tué en Bolivie en 1980.
Ines Calstas
Fille de quatre grands parents de différentes nationalités, Ines est née à Montevideo pendant la dictature militaire. L’expérience d’une église engagée socialement et politiquement l’a façonnée. Depuis 2010, elle travaille pour l’Eglise Catholique de Genève avec des personnes qui côtoient la misère. Sa devise « N’ayons pas peur d’exprimer notre soif de justice, n’ayons pas peur d’être témoins de l’espérance, n’ayons pas peur d’être témoins de Dieu »