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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

Episode 20

29/03/20
5e dimanche de Carême

Lecture de l’évangile : Camille

Homélie : Claire

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Ez 37, 12-14 Psaume 129 Rm 8, 8-11 Jn 11, 1-45 (Lire les textes sur aelf.org)

Le texte de l’homélie

Traverser, une traversée terrible. Une mutation profonde de la terre et de nos incessantes activités, un arrêt violent et irréversible de tout ce qui nous fait nous sentir vivants, nous tend le miroir de nos profondeurs. C’est là, dans ces eaux profondes, dans nos inquiétudes, dans nos lieux malades, non-aimés, nos lépreux intérieurs, nos angoisses existentielles sur des temps et des espaces que nous ne maitrisons pas, c’est là que le Christ nous rejoint aujourd’hui. Je le regarde de près. je me mets tout près de lui, cet homme tout doux à qui on annonce que quelqu’un qu’il aime, son aimé, est malade et qu’il ne le verra probablement plus. Le gouffre. Ce Dieu de chair est pris dans son ventre d’humain. Dans les récits évangéliques, la mort de Lazare est la seule mort d’un être cher à son coeur qui est racontée. Elle est sans doute l’emblème de ce qu’est pour Jésus la perte de tous ceux qu’il aime. Continuons de le regarder. Il ne bouge pas. Il doit gérer trop d’informations. C’est une béance. Un abîme. Il vient de partir des alentours de Jérusalem, parce qu’il commençait à faire l’objet de persécutions. Il ne peut donc pas revenir. Revenir c’est mourir. Mais son aimé, le frère de ses aimées, se meurt. Il ne peut pas être loin de lui, loin d’elles. Ses disciples lui parlent, qu’est-ce qu’ils parlent. Il ne comprend rien à ce qu’ils disent. Toutes ces pensées bruyantes l’empêchent de voir l’essentiel. Silence. Il lui faut reconnecter avec sa Source, avec ce qui le guide intérieurement. Il reste là, et il attend. Deux jours. Deux jours pour allez au fond de son être, là où ça ne s’affronte plus à coup d’arguments, là où tout prend sens. Aller au lieu du choix. Une clarté. Au bout de deux jours silencieux et immobile. Au troisième jour, donc au troisième jour, toujours, une ouverture.. “Retournons voir Lazare.” Les disciples s’effondrent. Ainsi l’amour triomphe-t-il de la mort. Jésus a changé de voie. Il prenait une voie sage, celle de ne pas se laisser persécuter, et, face à la mort imminente de celui qu’il aime, quelque chose se retourne, quelque chose se transforme en lui, il ne peut pas continuer le chemin initié et va affronter un nouveau destin. Celui du retour vers l’être aimé. Celui qui ne supporte pas que les êtres aimés meurent. Il y a quelques années, une de mes amies d’enfance est décédée. Ca m’a semblé totalement irréel comme moment. Je me rappelle, dans ce moment où je me prenais de plein fouet une absolue impossibilité, celle de la mort de quelqu’un de 28ans, je me rappelle que dans cette église affreusement froide du 16e arrondissement, où tout le monde était en cercle autour du corps inerte de mon amie enfermé dans une horrible boite en bois, je me rappelle que, au milieu de tous ces gens en costumes, absents de leurs corps; qui récitaient des prières vides de sens, et alors même que le pauvre et gentil prêtre qui officiait semblait désolé de prononcer la moindre parole tellement rien n’était possible, je me rappelle, donc, que j’ai en quelque sorte discuté avec Dieu. Je lui ai dit que tout ce fatras catholique n’avait aucun sens si Fleur-Anne, mon amie, ne sortait pas de son cercueil tout de suite. C’était la seule chose acceptable qui pouvait se passer. Il fallait que cette mascarade cesse et qu’elle se relève. Alors, dans un désarroi vivant, j’ai souhaité de tout mon coeur, comme une chose tout à fait probable, qu’elle se relève, et que ça surprenne tout le monde certes, mais je ne voyais pas d’autre issue si je voulais continuer de prononcer des paroles comme : “Résurrection des morts”, “demandez et vous obtiendrez” “Rien n’est impossible à Dieu”. Il y a des temps où le langage symbolique c’est joli, mais il y a des béances dans la vie, où ce langage n’est pas acceptable. Je me suis révoltée contre cette acceptation ordinaire des choses. Contre cette voix en moi qui me disait : c’est la vie, elle est morte, il faut accepter la mort. Je me révolte contre l’injustice des personnes qui meurent seules en ce moment chez eux et dans les hôpitaux. Et je ne vois pas autre chose à demander à Dieu.e que “ne tolère pas ça”. “Non, ça non”. Eh bien croyez-le ou non, Fleur-Anne ne s’est jamais relevée. Mais je suis sûre pourtant que ma demande n’était pas à côté de la plaque. Je suis sûre que j’avais toute légitimité à exiger du Christ qu’il relève mon amie et console ses parents inconsolables autrement. Et pour ne rien vous cacher je crois que ça a été un des moments les plus importants de ma vie de foi. Ne pas tergiverser avec le grand désir de vie. Ne pas tricher avec ce qui était vraiment le suc de ce que je voulais : qu’elle revienne, et non pas qu’elle aille je ne sais pas où dans le ciel dans un espace éthéré, ou que nous la gardions dans notre coeur. Et cette honnêteté de mon désir existentiel, j’ai l’impression aujourd’hui qu’il y a du sens à ne pas le taire, à ne pas l’enfouir, le refouler, mais le laisser être, pour libérer de nouveaux espaces de sens. Jésus avance, se dirige vers Lazare, et s’arrête de nouveau, avant d’arriver. Lazare est mort. Et cette nouvelle le frappe, le violente, plus encore que la première fois. Il pleure. Dieu pleure. Il est bouleversé, retourné par cette inversion du monde, cette impossibilité de voir un aimé mourir. Et cela, non. C’est non. François Varillon dit que dire je t’aime à quelqu’un c’est lui dire : tu ne mourras pas. C’est croire profondément, d’une manière qui se sculpte progressivement, qui change, qui se pétrit au fil du temps, que l’amour ne permet pas la mort et en même temps l’assume pleinement. Et le 3e jour, donc, Jésus choisit de refaire le monde et ses lois, de créer un nouveau monde où on ne laisse pas les morts mourir, et il nous indique un chemin, celui de participer à cette vie divine, pauvre, humble, maladroite et dense, pleine de matière, de saletés, d’irrégularités, de maladies, de morts, et de la traverser, de la manger, de la pétrir comme une pâte qui va être transformée dans un four d’amour, pour faire un pain du monde, et d’offrir notre désir de justice, de le regarder comme une chose délicieuse, un pain à partager avec l’humanité entière, mais aussi avec les autres êtres, les minuscules vivants qui nous échappent, les animaux que nous persécutons, et les plantes, ces créatures douces et silencieuses. Il nous montre une voie nouvelle donc : celle de convoquer, de susciter et re-susciter toujours les êtres qu’on aime.
Claire
Claire est membre du groupe Oh My Goddess qui vous propose ce podcast. Elle est artiste de spectacle, elle est amoureuse, elle est féministe. Et elle fait également un master de philosophie au Centre Sèvres.