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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

Episode 6

29/12/19
La Sainte Famille
Magali C. Calise

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Si 3, 2-6.12-14
Psaume 127
Col 3, 12-21
Mt 2, 13-15.19-23

Le texte de l’homélie

L’Evangile de ce jour nous parle de la famille de Jésus – Marie – Joseph, La Sainte Famille. Et la Sainte Famille, c’est l’antithèse absolue aux représentations idéologiques de la famille. La Sainte Famille est très loin de l’image d’un papa, d’une maman, leurs enfants et leurs relations nécessairement idylliques. Alors en ce dimanche, écoutons ce que la Bible nous dit de la famille ; écoutons le chemin offert par la Sainte Famille. La Bible nous montre sans détour les violences qui ravagent les relations familiales car la famille reste un des lieux où s’exercent les pires violences. Dès la Genèse, la Bible nous montre ces violences familiales, sans fard, sans détours, et à maintes reprises : jalousies meurtrières, fratricides, violences conjugales, viols, haines familiales recuites, etc. La Bible nous montre d’ailleurs à quel point ces violences mêmes peuvent structurer des familles, et cela sur plusieurs générations.
♫ Extrait de la chanson « C’est dans l’air » de Mylène Farmer ♫
Ainsi l’histoire de l’humanité commence avec un fratricide avec Abel et Caïn. Et passons à la famille fondatrice d’Israël. La famille de Jacob-Israël est traversée par des violences familiales inouïes. En des termes plus contemporains, on pourrait dire de cette famille que c’est une famille totalement dysfonctionnelle : Jacob, le père vole la bénédiction paternelle promise à son propre frère ; Joseph, fils préféré de Jacob : il est haï par ses frères ; ses frères qui le laisseront à la mort en le jetant au fonds d’une fosse, dans le désert ; Dinah, sa fille elle est enlevée et violée ! Et ses frères se servent d’elle comme monnaie d’échange dans leurs tractations géopolitiques.
Face à toutes ces familles traversées par des déchainements de violences, contemplons à présent la Sainte Famille. Laissons-nous toucher parce ce qu’elle peut bien nous dire aujourd’hui.
La Sainte Famille, c’est une famille totalement queer enracinée dans la Parole du Dieu Amour. Regardons Marie : cette femme libre et forte qui refuse les lois dominantes : « Bienheureuse celle qui a cru ». Marie, c’est cette femme qui croit absolument en la Parole du Dieu amour. En femme libre, elle accueille cette Parole à bras ouverts. Elle engendre un enfant par l’écoute même de cette Parole : elle accepte d’être enceinte en dehors du mariage avec son futur époux. Regardons toute la force, toute la détermination qu’il faut à cette très jeune fille  pour choisir un chemin où elle risque la mort.
A présent regardons Joseph : cet homme qui refuse de faire violence à une femme. Ainsi Marie, sa future femme est enceinte, et pas de lui. Selon la Loi juive, et comme cela était pratiqué couramment, Joseph aurait dû lapider et faire lapider Marie. Or Joseph ne fait pas ce choix. Regardons bien cet homme-là : il refuse de pratiquer les châtiments traditionnels infligés aux femmes. Il refuse de tuer une femme, Marie. Aujourd’hui, à l’heure où sont enfin dénoncées les violences conjugales et les féminicides n’est-il pas un puissant témoignage du refus, de la part d’un homme, d’exercer des violences patriarcales ?
Et maintenant regardons Jésus : cet enfant engendré par l’écoute de la Parole. Il est un dieu qui s’incarne, non pas avec les apparats de la puissance des Dieux ni du pouvoir des rois, il est un Dieu qui s’incarne en un petit enfant. Un enfant nu, un enfant pauvre, un enfant né à même le sol, dans une étable. Et cet enfant qui naît à l’ombre de la Croix, nous révèle ce que cela veut dire d’être « filles et fils de Dieu ». Jésus n’est pas seulement celui qu’on appellera «  fils de Joseph », le nazaréen : il est Dieu né de Dieu. Il vient nous dévoiler quelle est notre véritable identité.
En m’ouvrant à la Parole de Sa Grâce, toute désirante de pouvoir accueillir l’Esprit – cet Esprit qui enveloppe de sa lumière Marie et Joseph – je découvre que ma véritable identité n’est pas d’être la fille de cette femme et de cet homme qui m’ont donné biologiquement la vie. Je découvre que, moi aussi, je suis enfant et fille de Dieu.
L’Evangile nous dit :« Voici que l’ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit : Lève-toi ; prends l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Reste là-bas jusqu’à ce que je t’avertisse, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. » Joseph se leva ; dans la nuit, il prit l’enfant et sa mère, et se retira en Égypte.
Car avec la naissance de Jésus, la Sainte Famille doit échapper au pouvoir politique meurtrier du roi Hérode. Un roi qui se sent menacé par l’annonce de la naissance d’un Messie – roi et libérateur du peuple juif. Un roi qui ordonne l’extermination de milliers de petits enfants. Ainsi nous voyons Marie la femme libre « comblée de grâce » et Joseph « le Juste » tout abandonner pour partir la nuit, de manière déterminée afin de sauver l’enfant, pour sauver la Vie. Nous voyons la Sainte Famille contrainte de s’exiler… pour sa propre survie : une migration forcée pour échapper à des violences meurtrières.
Je crois qu’aujourd’hui, la Sainte Famille ce pourrait être :
une famille homoparentale qui fait face aux violences lesbophobes qui se déchaînent à l’occasion des débats sur la PMA ;
– une mère isolée, une travailleuse pauvre qui élève seule ses enfants, sans baisser les bras face à la violence sociale et économique, face à la violence de la précarité ;
– une famille du Nicaragua qui fuit la violence des narco-traficants et la violence de la pauvreté ; une famille agressée par la police de l’immigration et refoulée aux frontières du Mexique ou des Etats-Unis ;
– une famille du Bangladesh, qui ne peut plus assurer sa subsistance parce qu’elle voit ses champs de culture envahis par la montée des eaux ; une famille contrainte de quitter son pays à cause du changement climatique ;
– une famille de migrant.e.s venue d’Afrique, fuyant la faim et les guerres ; une famille confrontée à la violence des passeurs et des trafiquants d’humains ; une famille errant pendant des mois sur un canot de fortune en mer Méditerranée et qui finit abandonnée aux portes de la forteresse Europe.
La Sainte Famille c’est celle qui nous offre à voir et nous rappelle qu’une toute autre réalité est possible, et qu’elle peut s’incarner dès à présent. Elle témoigne que les êtres humains ne sont pas destinés à vivre enchaînés par des déterminismes familiaux, sociaux ou biologiques ;
La Sainte Famille, c’est une famille totalement queer : une véritable révolution ! Elle nous montre que les liens biologiques ne constituent en rien le fondement d’une famille selon le cœur du Dieu Amour ;
La Sainte Famille nous invite à nous engager dans un chemin de sainteté – tout comme l’ont fait Marie et Joseph – c’est-à-dire à nous engager dans la création d’un autre possible enraciné en un Dieu Amour ;
La Sainte Famille nous rappelle que la Parole de Dieu est une Parole de vie qui peut guérir nos relations et nos cœurs blessés ;
Alors laissons nos cœurs être touchés par la Sainte Famille. Laissons-nous emporter vers le nouvel horizon qu’elle nous ouvre. Car la Sainte Famille nous apprend que nous pouvons refuser les forces de la Mort ; nous pouvons faire le choix de nous nourrir de la Parole de Sa Grâce, pour choisir la Vie et la Joie.

Magali C. Calise

Magali C. Calise est à l’origine de « Dieu est une lesbienne noire », groupe de partages et de réflexions qui rassemble des femmes désireuses d’explorer de nouvelles perspectives féministes et émancipatrices dans leurs différents univers religieux. Proche de la spiritualité ignatienne, Magali est aussi engagée depuis l’adolescence dans différents groupes militants contre le racisme, pour les droits des femmes, pour les droits des lesbiennes, en faveur d’une écologie populaire sociale et politique. Issue d’une famille modeste, elle est un pur produit de la méritocratie républicaine.
Actuellement en thèse en philosophie politique.
Son blog et son compte Twitter.