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Bonne

Nouv.elle

!

— La parole inclusive du dimanche,
Du premier dimanche de l’Avent au dimanche de Pâques, un.e invité.e nous donne à entendre l’homélie dominicale.

Episode 1

01/12/19
1er Dimanche de l’Avent
Anne-Catherine BAUDOIN

Et sur Anchor.fm, Spotify ou d’autres plateformes de podcasts.

Textes du jour

Is 2, 1-5
Psaume 121
Rm 13, 11-14a
Mt 24, 37-44

Le texte de l’homélie

Mes ami.e.s,
Même si vous n’avez pas encore eu la chance d’aller à Jérusalem, vous avez tous en tête cette photo panoramique de la ville, enceinte dans ses murailles, avec le Dôme du Rocher qui scintille au soleil ; on la voit dans tous les magazines. Cette photo est prise du Mont des Oliviers ; c’est là que Jésus parle avec ses disciples dans l’évangile de ce jour. Nous sommes au chapitre 24 de l’évangile de Matthieu, après l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem. Il s’agit donc des derniers discours, les discours situés par l’évangéliste juste avant la Passion. Jésus a parlé devant les foules et devant les autorités du judaïsme ; il est maintenant seul avec ses disciples, assis sur le Mont des Oliviers, et il leur montre le temple qui s’étale, imposant, face à eux, en leur disant qu’il n’en restera pas pierre sur pierre. Frappés, les disciples demandent quand cela arrivera, et quel sera le signe de l’avènement de Jésus et de la fin du monde. Tout ce discours a sans doute la tonalité de ce qu’a dit le Jésus historique pour inviter ses disciples à changer de vie ; mais bien des éléments sont ici retravaillés par l’évangéliste, qui écrit probablement après que la destruction du temple a eu lieu, en l’an 70 de notre ère, et après que la nation juive a eu à subir des événements dramatiques. On comprend la violence des images utilisées ici : la destruction de Jérusalem par les Romains est un événement que les communautés ont pu comparer à leur souvenir biblique du déluge ; le mot grec pour dire déluge, c’est cataclysme, et un cataclysme a bien interrompu toutes les activités humaines, tout le quotidien.
Cette notion de cataclysme est bien présente dans nos esprits aujourd’hui : que l’on pense aux catastrophes naturelles pas toutes si naturelles que cela, que l’on pense aux menaces que fait peser le changement climatique, que l’on pense aux guerres qui ravagent certaines régions. L’un sera pris, l’autre laissé : récemment je faisais un trajet en covoiturage avec un jeune kurde d’une trentaine d’années qui m’a montré sur son téléphone des photos de sa famille, prises en 2009, juste avant qu’une bombe ne tombe sur sa maison, tuant ses parents et ses sœurs, l’épargnant lui et son petit frère. Pourquoi l’un est-il pris, l’autre laissé ? Je ne crois pas que ce soit seulement une annonce qui nous soit faite dans ce texte, c’est aussi le constat de ces hasards, de ces cahots de l’existence. Cela correspond à l’expérience qu’a pu avoir une communauté juive ou judéo-chrétienne dans les années 70 de notre ère ; cela correspond à l’expérience humaine, et nous l’avons tous faite.
Mais cela, cette expérience humaine, elle nous est rappelée pour être mise en parallèle avec la venue du Seigneur « par surprise ». Curieusement, dans ce passage, vous avez vu, ce n’est pas au maître de maison qu’est comparé le Seigneur, mais au voleur, qui s’introduit par effraction dans la maison. Cette expression se trouve plusieurs fois dans le Nouveau Testament; le jour du Seigneur, ou bien le Seigneur lui-même, viendra comme un voleur. Ce n’est pas très réjouissant, pas très positif. Si vous vous êtes déjà fait voler quelque chose, vous voyez ce que je veux dire. Moi j’ai ce souvenir-là, toujours à Jérusalem, un peu au-dessus du Mont des Oliviers, un marchand de rue voulait me vendre ce panorama de Jérusalem dont je parlais tout à l’heure, une belle et grande photo, et pendant que d’une main il me la présentait, de l’autre il prenait mon porte-feuille dans mon sac. Je m’en suis rendu compte et tout s’est bien terminé, mais quel émoi, quelle agitation. Quelle surprise aussi, c’est le sentiment qui m’a le plus frappé : je ne m’y attendais tellement pas.
Et c’est bien de cela que nous parle l’évangile aujourd’hui : veillez, soyez prêts. Dans les autres textes du jour, c’est la dimension de préparation qui est plus directement évoquée : se mettre en marche, se revêtir du Seigneur, renoncer concrètement à tout ce qui participe des ténèbres pour entrer dans la lumière. Ces textes utilisent des images plus actives, dans lesquels les peuples ou les individus sont exhortés à faire quelque chose, à adopter une attitude. Dans l’évangile, ce qui m’étonne, c’est qu’il me soit demandé simplement de veiller et d’être prête. Pas une action, mais une attitude.
Quand j’ai préparé ce que je voulais vous dire aujourd’hui, je me suis trouvée bien embarrassée. J’aurais voulu que l’évangile soit plus concret, que l’on me dise quoi préparer pour être prête, que l’on me dise comment on veille pour attendre la venue du Seigneur. Mais il me semble comprendre que ce qui m’est demandé pour ce premier dimanche de l’Avent, c’est simplement d’être dans cette disposition : veiller. Si vous me permettez de passer au féminin l’image du maître de maison, je penserai à la maîtresse de maison, ou plus simplement aux soirées où je reçois des amis, où je cuisine pour eux, où j’essaie d’être attentive à ce dont ils ont besoin, à ce dont ils ont envie ; aux moments où je suis avec d’autres et où je porte le souci que chacun se trouve au mieux : dans ces moments-là, j’ai l’impression, et vous connaissez sans doute aussi ce sentiment, d’être joyeusement aux aguets, d’avoir l’oreille dressée, l’œil et le cœur ouvert, pour être prête à repérer ce que je peux faire.
Par le rythme de l’année liturgique, l’Église, et à travers elle le Seigneur, nous donne, inlassablement, plusieurs fois par an, des occasions précieuses de nous trouver ainsi joyeusement aux aguets. Une grande fête approche. Dans la frénésie de ma vie, elle risque de survenir brusquement : une fois de plus je vais faire mes courses de Noël le dernier samedi, et je râlerai ; une fois de plus j’aurais dû m’y prendre à l’avance ; une fois de plus Noël est arrivé par surprise, je ne m’y attendais pas, est-ce que Noël n’est pas chaque année plus tôt ? Tout a passé si vite depuis la rentrée ! L’année liturgique superpose à mon quotidien un autre rythme : nous voici dans le premier dimanche de l’Avent. Le Seigneur va venir. Quand nous fêterons Noël dans quelques semaines, ce ne sera pas un anniversaire ; c’est parce que nous est donnée, régulièrement, une occasion de nous disposer à la rencontre du Seigneur, avec un calendrier d’accompagnement qui nous aide à nous préparer. L’Avent est une proposition qui nous est faite pour nous préparer progressivement à accueillir le Christ dans notre vie.
Nous pouvons imaginer cela comme une marche vers Jérusalem, cette image de Jérusalem étalée au soleil, cette ville qui se dresse au milieu du désert, préparons-nous à monter vers elle. Nous pouvons imaginer cela comme l’accueil d’un bébé, dont on prépare la chambre, les vêtement, ce dont il aura besoin. Pour aujourd’hui, tout ce qui nous est demandé, ce n’est même pas de faire le premier pas, ce n’est même pas de choisir quelle chambre on va donner au bébé : pour aujourd’hui, nous avons simplement à prendre conscience de cette imminence. Je m’arrête sur le premier verset du psaume : « quelle joie quand on m’a dit “Nous irons à la maison du Seigneur !” ». Aujourd’hui, cette rencontre nous est tout simplement annoncée : alors soyons-en conscients, réveillons notre cœur, mettons-nous joyeusement aux aguets. Mes ami.e.s, je vous souhaite d’entrer joyeusement dans la nouvelle année liturgique, je vous souhaite de vous disposer simplement à vous mettre en marche vers Noël.

Anne-Catherine BAUDOIN

Anne-Catherine Baudoin enseigne le Nouveau Testament et le christianisme ancien à la faculté de théologie de l’Université de Genève. Née en 1982, elle se passionne depuis (presque) toujours pour la langue grecque et pour la littérature ancienne, notamment chrétienne : elle a ainsi étudié le Nouveau Testament, les textes des Pères de l’Église et les oeuvres que l’on appelle « apocryphes ». En 2012, elle a soutenu une thèse sur la figure de Pilate dans la littérature antique et médiévale.